Paru en 2014, le roman La déesse des mouches à feu, qui nous a donné l’inoubliable personnage de Catherine, et peut-être l’un des plus beaux films québécois de « coming-of-age » quand il a été adapté au cinéma par Anaïs Barbeau-Lavalette, était une vision d’adulte sur l’adolescence. Sa suite, La reine de rien, qui sort mercredi , serait-elle comme un roman écrit par une adolescente sur la vie adulte ?

Après tout, le livre est dédié « aux petites crisses qui sont devenues des madames », et le regard inversé est peut-être nécessaire.

« C’est complètement ça, me répond Geneviève Pettersen. Un livre de madame écrit par une adolescente. »

Car on retrouve dans La reine de rien une Catherine en pleine crise, quand on revient dans sa vie au moment où, en cachette de son mari Fred, elle flirte sur l’internet avec Mathieu, un gars rencontré au cours de natation de son enfant. On retrouve aussi son franc-parler implacable et hilarant, cette oralité savoureuse que Pettersen a développée dans le premier roman, et le jugement impitoyable que Catherine exerce sur les autres et sur elle-même.

Mais celle qui se croyait « la reine de toute » à 14 ans ne contrôle plus rien dans sa trentaine. Même si elle est mariée, professionnelle dans les médias, mère de deux enfants qu’elle élève plus ou moins bien dans sa jolie maison, selon les standards, elle est toujours cette jeune fille en colère qui se compare sans cesse aux autres et qui a un immense besoin d’attention.

Je suis certaine que La reine de rien sera un grand succès, car on le lit jusqu’à la fin sans pouvoir s’arrêter en se demandant : « Mais qu’est-ce qu’elle fout ? », sans que ça ne nous dérange trop qu’elle écrase dans son dérapage beaucoup de choses qu’on n’a jamais vraiment aimées. Quand même, où est-ce qu’elle s’en va comme ça ?

« Dans le mur, et elle y va vite, me lance Geneviève Pettersen en riant. C’est comme un accident de train, mais pas au ralenti. Parce qu’elle est conne aussi, hein ! Moi, elle me fait peur ! C’est un défouloir extraordinaire d’écrire des choses comme ça. »

Geneviève Pettersen s’exprime d’une façon qui ressemble tellement à son personnage qu’on est tenté de la confondre avec Catherine. Mais si La déesse des mouches à feu était en partie inspirée de sa jeunesse, elle souligne que La reine de rien est une fiction, inspirée par le même thème qu’on retrouve dans les deux romans : la séparation.

Elle a commencé à l’écrire en pleine rupture, en comprenant très vite qu’elle devait prendre du recul pour ne pas transfuser ce qu’elle vivait. Mais lorsqu’elle a ressorti le manuscrit des boules à mites il y a deux ans, il n’a fallu que 20 pages pour que la voix de Catherine réapparaisse. « Je me suis dit : crisse, c’est elle, elle est revenue. Sans joke, ce n’était pas planifié. »

« Je pense que je suis obsédée par ce sujet de la séparation », admet celle qui, à 40 ans, est passée au travers de cette épreuve et a vu beaucoup de ses amies vivre la même chose dans les dernières années. L’écrivaine voulait saisir ce moment où tout le monde est laid quand ça arrive. « On passe tous un peu par le même chemin là-dedans : c’est la pire affaire qui t’est arrivée de ta vie. »

Et quand il y a des enfants, c’est encore plus crève-cœur, surtout quand tu viens comme moi d’une famille où il y a eu un divorce absolument dégueulasse. Ta pire hantise est de refaire ça, et ça vient ajouter au stress que tu vis.

Geneviève Pettersen

Des modèles étouffants

Geneviève Pettersen me reçoit à son appartement où son adorable chienne Tula, une king-charles qu’elle désigne comme son sixième enfant, écoute sagement notre conversation. La dernière fois que je l’ai interviewée en personne, c’était dans la maison où elle vivait avec Samuel Archibald, père de deux de ses enfants (elle en a trois), professeur à l’UQAM qui a récemment été la cible d’allégations d’inconduite sexuelle et de qui elle est séparée depuis quelques années. De ça, nous en parlerons en privé, mais elle ne m’en veut pas d’avoir écrit durement sur le sujet. Elle est aussi chroniqueuse, hier à Québecor, aujourd’hui à Noovo, anciennement à La Presse comme Madame Chose, personnage littéraire qui a donné le livre Vie et mort du couple : du dating au divorce.

Aujourd’hui, elle forme un couple avec Pierre-Yves McSween, le célèbre auteur d’En as-tu vraiment besoin ?, mais ils n’habitent pas sous le même toit, entre autres parce que ça leur va bien et qu’ils ont ensemble cinq enfants.

Qu’ils ne cohabitent pas dérange les gens, ce qui ne m’étonne pas, puisque ça fait 20 ans que les gens trouvent étrange que mon chum et moi fassions chambre à part, comme si ça les concernait. Nos modèles du couple et de la famille sont tellement figés que Geneviève Pettersen croit qu’ils font craquer bien du monde, parce qu’ils sont étouffants. « On a beaucoup présenté le couple et la famille comme étant le but dans la vie, la finalité, l’absolu, mais il y a dix mille façons d’être en relation avec une personne, et ça ne fait pas de la relation quelque chose de moins authentique. C’est là-dedans que je voulais “varger”, entre guillemets. Je l’ai fait, la maison, le chien, les enfants. Je n’ai pas beaucoup aimé ça. »

« Quand tu as des enfants, c’est facile de faire ta job, d’arriver chez vous le soir, de régler le souper et de t’asseoir devant Netflix sans jamais parler à l’autre. Tu fais juste être dans le même espace. Avec des enfants, c’est pire, car ça devient comme une petite PME. »

Tu te rends compte que tu es à 500 000 km de l’autre personne et tu te demandes : qui est cet être humain à qui je lave les bobettes au bout du compte ?

Geneviève Pettersen

La reine de rien est le récit haletant d’un autosabotage, mais dans les circonstances, comment pourrait-il en être autrement ? On ne change pas, comme le chante Céline, peut-être parce que nos modèles aussi ne changent pas, et les cruautés de cour d’école se transposent dans le monde du travail, ou dans nos téléréalités. Ce n’est qu’en vieillissant parfois que l’on comprend que nos parents, qu’on croyait être des adultes, ont été aussi démunis que nous le sommes lorsqu’on rejoint l’âge qu’ils avaient quand on était enfant. Aussi Geneviève Pettersen espère-t-elle que La reine de rien soit un livre libérateur, peu importe s’il nous dérange.

« Je pense que Catherine est une personne de son époque. Tout le monde est con, tout le monde a des biais, c’est tough, ce tournant-là où on change beaucoup comme société. On change et en même temps, on est tellement fait de tout ce qu’on a été avant et de tout ce qu’on nous a appris. On nous demande de monter dix marches en même temps, mais dans notre tête, on ne les a pas montées tout de suite. On se demande si on est une mauvaise personne, mais on est tous un peu pareils, même si on ne veut pas être ça. »

La reine de rien

La reine de rien

Stanké

224 pages
En librairie mercredi