Oh ! que j’avais hâte de lire l’autobiographie de Marc Laurendeau ! Je me doutais bien que le parcours singulier de l’ex-Cynique devenu un sage de l’information allait m’offrir des moments délectables.

Je n’ai pas été déçu.

Du rire cynique au regard journalistique, c’est l’histoire d’un homme qui a plongé dans la Révolution tranquille avec la fougue de sa vingtaine pour en ressortir, quelques années plus tard, transformé, mais tout aussi critique de la société dans laquelle il vit depuis 83 ans.

Ce long parcours commence par une enfance douce et enveloppante à Notre-Dame-de-Grâce dans un milieu familial cultivé (l’une de ses sœurs était la comédienne Amulette Garneau) et politisé (André Laurendeau était le cousin de son père). Puis, ce seront les années du cours classique au Collège Sainte-Marie, une période d’enrichissement dont Marc Laurendeau garde un merveilleux souvenir.

« On ne nous disait surtout pas que nous étions l’élite de demain, écrit-il […] On nous enseignait que l’engagement social était important. »

L’un des intérêts de cette institution était qu’elle était collée sur le Gesù. C’est là que le jeune homme découvre les feux de la rampe.

À la fin des années 1950, il s’inscrit en droit à l’Université de Montréal où il fait la rencontre d’un bon nombre de gens qui vont contribuer à éveiller un Québec empêtré dans les missels et les scapulaires, notamment Denys Arcand et Bernard Landry.

À cette époque, Marc Laurendeau mène une double vie. Étudiant attentionné le jour, il succombe au monde du spectacle quand tombe la nuit. Il crée un numéro où il décrit le chapelet en famille à la manière d’un combat de lutte. C’est un succès monstre !

PHOTO ANTOINE DESILETS, ARCHIVES LA PRESSE

Les Cyniques, composés d’André Dubois, de Marcel Saint-Germain, de Marc Laurendeau et de Serge Grenier, en 1969

Autour de lui se greffent Marcel Saint-Germain, Serge Grenier et André Dubois, d’autres étudiants de l’UdM. Avec leur style personnel, les compagnons bâtissent des numéros qui constituent les premiers spectacles. Les Cyniques sont nés ! De même qu’une légende.

La lecture de cet ouvrage m’a donné le goût de réentendre les disques des Cyniques et de revoir certains extraits de spectacles. J’ai été renversé par l’audace et le décalage avec notre époque. Une large part des propos des Cyniques ne passerait plus auprès du public.

Les quatre joyeux lurons se feraient accuser de racisme, d’homophobie, de grossophobie et quoi d’autre.

Les Cyniques faisaient flèche de tout bois. Aujourd’hui, le consensus social contient beaucoup plus de tabous.

Marc Laurendeau

Cette montée des tabous expliquerait-elle la quasi-absence de l’humour satirique visant les politiciens ? « Je l’ai souvent dit, il faut être un funambule pour faire de l’humour aujourd’hui. D’un côté, il y a les chartes des droits, et de l’autre, le culte des minorités. »

Après onze ans de succès et alors que les Cyniques étaient au sommet, les quatre membres décident de mettre fin à cette aventure et d’emprunter des routes différentes. Pour Marc Laurendeau, ce sera le journalisme.

De la satire au journalisme

J’étais évidemment très curieux de lire les chapitres concernant la transition qu’a effectuée Marc Laurendeau, un humoriste qui a consacré une décennie à se moquer du clergé, des forces de l’ordre et des politiciens. « Ce livre est l’histoire de quelqu’un qui fait de la satire sociale sur scène et qui en vient, après avoir écrit sur ces têtes de Turc, à les interviewer », dit-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Marc Laurendeau

L’un des faits saillants de sa carrière demeure la découverte du sixième membre de la cellule Libération du FLQ. En effet, Marc Laurendeau développe très tôt des liens avec le couple Jacques Cossette-Trudel et Louise Lanctôt. Grâce à eux, il apprend l’existence de ce mystérieux membre dont personne n’avait jamais entendu parler.

Il y a chez Marc Laurendeau une dualité assumée. D’un côté, il s’intéresse à la crise d’Octobre et voue une grande admiration à René Lévesque, mais de l’autre, il nourrit un intérêt insatiable à l’égard de la famille royale d’Angleterre. « Il y a plusieurs facettes chez l’être humain, ajoute-t-il. Il est sensible à plusieurs choses. »

Un ménage à trois avec l’information

Ce livre, qui a bénéficié de l’aide précieuse de Pierre Huet, aborde une foule de sujets plus passionnants les uns que les autres. L’auteur et son éditeur ont eu la bonne idée d’entrecouper les chapitres de portraits de gens que Laurendeau admire : René Lévesque, Robert Bourassa, Pierre Nadeau, Jean Drapeau et plusieurs autres.

On peut s’en douter, son amour de l’information prend une place considérable dans le livre. Il parle même d’un « ménage à trois » avec sa conjointe Anne-Marie Dussault, animatrice de l’émission 24/60. « C’est une nourriture intellectuelle. Quand je découvre un fait d’actualité, ça m’amène à lire des ouvrages pour aller plus en profondeur. Je le reconnais, l’info est une drogue forte pour moi. »

On a enterré le journalisme plusieurs fois ces dernières années. Pas Marc Laurendeau. Au contraire, il croit fermement qu’il est bien enraciné et qu’il a de formidables années devant lui. C’est ce qu’il a répété aux étudiants qui ont eu la chance de l’avoir comme professeur au cours des dernières années.

Plus la présence des réseaux sociaux et de la désinformation se feront sentir, plus nous aurons besoin de journalisme de qualité, croit-il. « Il y a encore des gens aux États-Unis qui pensent que l’élection de Trump a été volée. Quand Poutine dit qu’il mène une opération militaire spéciale en Ukraine, ne craignons pas de dire que c’est un génocide et un massacre. Combattre ce qui se dit dans les réseaux sociaux est la nouvelle vocation des journalistes. »

L’entretien que nous avons eu a été empreint de sérieux, celui auquel Marc Laurendeau nous a habitués. Mais à la fin de la conversation, l’émotion s’est invitée. C’est arrivé quand je lui ai demandé ce que l’écriture de ce livre lui avait procuré.

Il a commencé par me dire que la partie écriture avait été à la fois douloureuse et satisfaisante. « Mais cela m’a permis de voir à quel point je dois beaucoup aux gens qui m’ont entouré… »

Sa voix s’est étranglée, il y a eu un long silence au bout du téléphone. « Tout à coup, je pense à Anne-Marie et à ma famille, à ma sœur, à deux de mes collègues des Cyniques aujourd’hui disparus… Excusez l’émotion ! »

Puis, après s’être ressaisi, il a ajouté : « Écrire un livre comme celui-là te permet de découvrir le sens de ton parcours, les gens que tu as aidés et qui t’ont aidé aussi. Il y a un phénomène libérateur, finalement. »

Pour le public aussi, il y a un phénomène libérateur. Celui de voir que le Québec de la Grande Noirceur a été transformé par des jeunes qui ont eu le courage de donner un sacré coup de pied dans les portes.

Merci de l’avoir fait, Monsieur Laurendeau !

Du rire cynique au regard journalistique

Du rire cynique au regard journalistique

Éditions La Presse

319 pages