L’Orchestre symphonique de Montréal enchaîne les succès au gré des villes qu’il visite depuis le début de sa tournée européenne. Jeudi soir, c’était au tour du public du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles de communiquer sa ferveur à Rafael Payare et à ses 97 musiciens.

Comme cela s’est produit ailleurs, la soirée a été couronnée de bravos, de rappels, de nombreuses salutations et d’une ovation.

Ce programme différait de ceux offerts jusqu’ici grâce à la présence du violoniste Augustin Hadelich venu présenter le Concerto n5 pour violon en la majeur de Mozart. Pour les besoins de l’œuvre, la formation était évidemment réduite de moitié environ.

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR L'OSM

Le violoniste Augustin Hadelich, sur scène avec les musiciens de l’OSM

Tout reposait donc sur les épaules de ce formidable musicien venu à Montréal en avril 2018 interpréter avec l’OSM le Concerto pour violon en ré majeur de Tchaïkovski. Nous nous étions alors rencontrés et j’avais entrevu sa chaleur, sa sagesse.

À l’instar de nombreux mélomanes dans le monde, ceux de Bruxelles ont littéralement succombé au talent de cet artiste, sans doute l’un des plus forts de sa génération, toutes disciplines confondues. Son interprétation a comblé le public, qui lui a réclamé deux rappels.

Puis, en seconde partie, est venue l’arme redoutable de cette tournée : la Symphonie n5 en do dièse mineur de Mahler, qui avait galvanisé le public de Vienne lundi. Vais-je vous étonner si je vous dis qu’elle a eu le même effet ?

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR L'OSM

L’OSM, sur la scène du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles

Est-ce parce que le « stress » de Vienne était passé pour les musiciens ? Est-ce parce que les effets du décalage horaire étaient moins présents chez moi ? Toujours est-il que j’ai eu l’impression que cette œuvre, particulièrement l’Adagietto (beau à pleurer), a davantage déployé ses ailes.

Il faut dire que le Palais des Beaux-Arts, où j’étais venu avec l’OSM en mars 2019 en compagnie de Kent Nagano et Marie-Nicole Lemieux (la chanteuse retrouvait ce lieu qui l’avait consacrée en 2000 lors du concours Reine Élisabeth), n’est pas une salle chaleureuse, mais son acoustique est impressionnante.

Dans les coulisses d’une saison

On a tendance à croire que les directeurs musicaux des orchestres sont les seuls responsables du contenu des saisons. À l’OSM, comme ailleurs, une grande équipe dirigée par Marianne Perron s’acquitte de cette tâche.

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Marianne Perron, directrice principale du secteur artistique de l’OSM

Cela commence par de nombreuses conversations avec Rafael Payare. Je veux savoir où il est rendu dans le répertoire, où il veut aller. Je lui dis aussi où l’OSM est rendu. Les décisions sont prises dans ce contexte.

Marianne Perron, directrice principale du secteur artistique de l’OSM

Il y a les choix faits en fonction du directeur musical, mais aussi ceux créés autour des chefs invités. À l’instar des solistes, ceux-ci ont leur « répertoire du moment », leurs compositeurs de prédilection. Il faut tenir compte de tout cela quand on les approche.

Outre les anniversaires de naissance ou de décès des compositeurs, plusieurs facteurs sont à l’origine des « tendances » en musique classique. « Une œuvre qui n’a pas été jouée depuis longtemps peut tout à coup revivre, explique Marianne Perron. Il suffit qu’un grand soliste se mette à jouer un certain concerto pour que d’autres l’imitent. »

Marianne Perron, qui prépare actuellement la saison 2024-2025, passe beaucoup de temps à imaginer des programmes, à noter, puis effacer des œuvres. Un seul élément (annulation d’un soliste ou d’un chef) peut tout faire basculer. « Au début, je paniquais. Aujourd’hui, je sais que je peux retomber sur mes pattes. »

Celle qui a gravi les échelons un à un au sein de l’OSM déplore le fait que plusieurs orchestres s’en remettent trop à leur service de marketing pour établir leurs saisons. « Il faut être à l’écoute du public et de ce qu’il aime entendre, bien sûr. Mais en même temps, il n’est pas niaiseux. Il veut qu’on lui fasse découvrir des choses. Notre défi est dans cet équilibre. »

Carnet de tournée

Les Québécois Carole Asselin et Robert Dusablon étaient avec deux amis dans un restaurant de Bruxelles mercredi soir lorsqu’ils ont aperçu Rafael Payare en compagnie de Marianne Perron, directrice principale du secteur artistique de l’OSM, et du violoniste Augustin Hadelich. Le couple, qui lit mes chroniques depuis le début de la semaine, avait tenté d’avoir des billets pour un des concerts de Vienne, sans succès. Carole s’est approchée du chef. « Êtes-vous Rafael ? » Une sympathique conversation a suivi. Au bout de quelques minutes, Marianne Perron a offert des billets pour le concert de Bruxelles à Carole, Robert et leurs amis. Ils n’en croyaient pas leurs oreilles. Devinez qui furent les premiers spectateurs à faire une ovation au chef et aux musiciens de l’OSM à la fin du concert de jeudi.

Des lecteurs m’ont demandé comment le transport des instruments était assuré durant cette tournée. Excellente question, car cela relève d’une incroyable logistique assurée par une équipe de professionnels. Tous les instruments ont d’abord traversé l’Atlantique par avion-cargo de Montréal à Zagreb. Mais depuis le début de la tournée, les petits instruments (violons, clarinettes, flûtes, cors, etc.) peuvent être transportés par les musiciens eux-mêmes dans les avions et les trains. Les plus gros sont mis dans des caisses immédiatement après les concerts et sont expédiés dans la ville suivante. Tout cela se déroule sous la bienveillance d’employés extrêmement dévoués, souvent la nuit.

Retour sur le concert de lundi à Vienne. En après-midi, un violoncelliste indisposé a dû annuler sa participation au concert prévu en soirée. Il était près de 15 h. Une répétition était fixée à 16 h. À 15 h 40, on a joint un violoncelliste de l’Orchestre philharmonique de Vienne. Il est arrivé à 15 h 58. À 19 h 30, il interprétait avec les 96 autres musiciens de Montréal les deux œuvres de Brahms et la Symphonie no 5 de Mahler inscrites au programme. « Tant qu’à vivre un truc pareil, on préfère que ça soit à Vienne », m’a dit quelqu’un.

Nous sautons dans le train, tôt samedi, pour nous rendre à Londres, où l’OSM joue au Southbank Centre en soirée. On s’en reparle samedi.