Je sais, vous allez dire : il côtoie les musiciens de l’OSM, il ne veut pas dire du mal d’eux, il multiplie les triomphes… Mais la vérité vraie, c’est qu’il s’est passé quelque chose d’extraordinaire lundi soir au Konzerthaus, où Rafael Payare et ses musiciens offraient un second concert dans le cadre d’une tournée européenne amorcée le 21 octobre.

Ce programme était une source de préoccupations pour certains. Et pour cause, les 97 musiciens offraient cette odyssée qu’est la Symphonie n5 en do dièse mineur de Mahler, un compositeur lié à tout jamais à la ville de Vienne.

Certains parlaient de courage de la part de l’OSM et de son chef, de témérité ou d’audace (voir l’entrevue avec Rafael Payare plus bas). Comment le public allait-il réagir à l’interprétation que font les Montréalais de cette gigantesque œuvre (elle dure 68 minutes) ?

La réponse se trouve dans l’ovation (le public se lève uniquement pour de très bonnes raisons au Konzerthaus) que les spectateurs ont réservée aux musiciens et à leur chef à la fin du concert. De la salle fusaient les bravos, sur scène, il y avait de la sueur, des sourires francs et beaucoup de crins d’archet échevelés.

Il est clair que cette soirée fait maintenant partie de la longue histoire de l’OSM.

Cette œuvre fait travailler toutes les sections de l’orchestre. Mais précisons que Paul Merkelo, trompette solo, et Catherine Turner, cor solo, ont été particulièrement applaudis par les mélomanes. Et avec raison.

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR L’OSM

L’OSM, dirigé par Rafael Payare, en concert à Vienne lundi

Et pourtant, cette soirée avait commencé timidement avec Nänie, de Brahms, qui a jumelé l’OSM au Wiener Singakademie, un chœur d’une centaine de voix. Est-ce parce que les Viennois ont l’habitude des chœurs, si beaux soient-ils ? Est-ce que ce compositeur est aussi un des leurs ? Toujours est-il que l’accueil fut moyen.

Il a fallu une seconde œuvre de Brahms, Schicksalslied (Chant du destin), pour que le public manifeste enfin son enthousiasme de manière claire et bruyante. Comme dit l’autre : à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire !

Je ne sais pas s’il fallait du courage pour affronter le public viennois avec la 5e de Mahler. Mais il fallait assurément un chef qui connaît parfaitement les capacités de ses musiciens. Ça s’appelle la confiance.

C’est ce qu’on a entendu lundi soir à Vienne, où l’OSM s’est senti comme chez lui.

Le maestro qu’on appelle Rafael

La chose m’a sauté aux oreilles. Quand les membres de l’OSM parlent de leur chef, ils utilisent la plupart du temps son prénom. Les titres de « monsieur » et de « maestro » prennent le bord.

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR L’OSM

Rafael Payare, chef de l’OSM, dans les rues de Vienne

« C’est normal, mon nom est Rafael », m’a simplement dit le concerné lorsque j’ai abordé cette question avec lui. Rafael Payare est sans doute le chef, parmi les grands, le plus chaleureux qui soit. Il installe tout de suite une proximité entre lui et ses interlocuteurs.

Mais cette « coolitude » serait futile sans ce côté réfléchi qui séduit tout le monde. Il fallait l’entendre répondre aux questions des journalistes viennois venus le rencontrer dans un salon du Konzerthaus lundi matin.

Il a esquivé avec élégance les questions pièges du genre : « Si vous deviez vivre pour le restant de vos jours avec un seul compositeur, ça serait lequel ? »

N’empêche, lorsque nous nous sommes retrouvés en tête-à-tête après cette rencontre de presse, il a bien fallu que nous parlions de « quelques-uns de ses favoris » : Chostakovitch et Mahler. « Quand est venu le temps de songer au répertoire de la tournée, ces deux compositeurs se sont vite imposés. Nous devions les jouer. »

Comment qualifier la décision de jouer la 5e Symphonie de Mahler dans la ville qui a consacré ce compositeur ? Est-ce de la témérité ? « Le fait qu’il est associé à Vienne comporte une certaine dimension. Mais nous n’allons pas jouer Mahler différemment qu’à Montréal. Est-ce un geste courageux ? Je ne sais pas. Nous allons le jouer avec ce que nous sommes. »

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR L’OSM

Rafael Payare, chef de l’OSM, dans les rues de Vienne

Cette tournée européenne est une étape importante pour le chef de l’OSM. Mais ce dernier refuse de parler de cette opération comme d’une stratégie de séduction lui permettant d’accéder à un niveau supérieur. « Mon objectif premier est de présenter de la musique de haut niveau, c’est tout. Et ensuite, de faire en sorte que l’interprétation se développe de concert en concert selon les publics. Les musiciens et moi dansons ensemble. »

Cette fascinante communion est un sujet sur toutes les lèvres à Vienne. Ceux qui l’ont vu diriger dimanche soir ont compris que « quelque chose de fort » se produit sur scène, a tenu à dire Matthias Naske, PDG et directeur artistique du Konzerthaus de Vienne. « Ce n’est pas moi qui fais le concert, c’est nous », dit Rafael Payare.

Pendant qu’il dégustait son plat de pâtes, je lui ai confié que lorsque je l’ai vu arriver sur la scène dimanche soir, j’ai été pris d’un moment de nervosité. Il a éclaté de rire. « Moi, je ne suis pas nerveux. Je suis excité. En revanche, je rends mon assistante Béatrice très nerveuse. »

En effet, Rafael Payare a une habitude qui peut parfois déstabiliser son entourage : il se rend à la salle où il doit jouer quelques minutes seulement avant le début du concert. « Je calcule la distance entre l’hôtel et le théâtre et j’arrive la plupart du temps trois minutes avant le début du concert. »

Je n’en croyais pas mes oreilles ! « Je sais, ça fait parfois ‟freaker” mon agent. Je ne sens pas le besoin d’être là longtemps avant le concert. Tout est déjà dans ma tête. »

Depuis notre dernière rencontre à San Diego, en août 2021, Rafael Payare a appris à devenir montréalais. Son français s’est grandement amélioré. Il a pris plaisir à découvrir la ville. « On a bien profité de l’été. Cela dit, il y a eu Lanaudière, La Virée classique, la préparation de la tournée en Corée du Sud et de la nouvelle saison. Bref, j’ai été très occupé. »

Alors, si vous le croisez un jour dans les rues de Montréal, appelez-le tout simplement Rafael. Ça lui fera plaisir.

Carnet de tournée

Les musiciens passent beaucoup de temps assis devant un lutrin. Cela explique pourquoi il y a des joggeurs au sein de l’OSM. Ils sont nombreux à enfiler le short le matin et à quitter l’hôtel au pas de course allegro non troppo !

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La première fois que l’OSM s’est produit au Konzerthaus de Vienne, c’était en 1962. Zubin Mehta était au pupitre. Depuis, il est revenu cinq fois (1994, 2009, 2014, 2019 et 2022).

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La Symphonie no 5 en do dièse mineur de Mahler a été enregistrée en août dernier par les musiciens de l’OSM et Rafael Payare. La sortie du disque aura lieu au début de 2023.

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Mardi est jour de congé (bien mérité) pour les musiciens. Nous quittons Vienne mercredi pour Bruxelles.

P.-S. Vous m’écrivez pour me dire que je suis privilégié de vivre cette aventure. Vous avez mille fois raison.