À 78 ans, l’infatigable France Castel s’offre un disque de chansons originales, le premier en 45 ans. Celle qui a eu une carrière guidée par des vents forts s’est tournée vers des auteurs et des compositeurs qui ont sculpté des chansons à même le marbre de sa vie.

Le résultat est à la fois étonnant et fort séduisant. En 11 chansons, l’actrice-chanteuse raconte des fragments de sa vie qui, malgré ceux qui lui ont fait toucher le « bas-fond » dans les années 1980, témoignent du parcours d’une femme libre et combative.

Entre deux éclats de rire bien sentis, elle m’a raconté l’aventure de ce disque. Elle l’a fait attablée devant un verre d’eau. « Je suis sobre depuis maintenant une trentaine d’années », m’a-t-elle dit avec un brin de fierté.

En 2021, France Castel a reçu le prix Lucille-Dumont de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec (SPACQ). Cette récompense était accompagnée d’une bourse de 10 000 $. Plutôt que de garder cette somme pour ses vieux jours, l’artiste l’a utilisée pour développer un projet de disque.

Je voulais voir si l’interprète avait encore des choses à dire. Mon amie France Beaudoin gardait parfois la chanteuse vivante, mais sinon, j’avais fait une croix sur ça.

France Castel

Et puis, l’auteur Louis-Marie Mathieu et le compositeur Pascal Mailloux (réalisateur et arrangeur du disque) papillonnaient autour d’elle. Après avoir vu France Castel interpréter No Woman, No Cry lors d’un spectacle en hommage à Sœur Angèle, ils ont eu envie de lui faire des chansons. Des rencontres ont eu lieu. « Louis-Marie me revenait ensuite avec des textes qui me collaient à la peau », dit-elle.

C’est ainsi que France Castel s’est retrouvée avec Le temps fou, une valse qui semble venir d’un autre temps, On s’aime encore, qu’elle dédie à l’homme qui lui a fait découvrir que l’amour pouvait aller plus loin que la passion brève, et Tendre comme une Pauline, un hommage à Pauline Julien (France Castel a joué dans La Renarde, sur les traces de Pauline Julien en 2019).

Le tandem s’est également laissé inspirer par l’aventure aussi brève qu’intense que France Castel a vécue avec Miles Davis. « J’étais allée travailler à Toronto. Il était là. On a vécu 21 jours d’amour. Dès le départ on savait que ça n’irait pas plus loin. On a vécu ce qu’on avait à vivre et nos chemins se sont séparés. »

L’amour du jeu

Pierre Huet, un vétéran de la chanson qui a la plume toujours aussi alerte et inspirée, s’est mis de la partie en s’associant à ses amis Luc De Larochellière et Andrea Lindsay. Cela a donné les très réussies C’est la mienne et Le long des pointillés. Quant à Liberté ma bien aimée, premier extrait du disque, elle est signée Thérèse Bichara et Pascal Mailloux.

Finalement, Louis-Marie Mathieu et Daniel Lavoie lui ont offert On berce nos démons et Bluff, une chanson où elle parle de sa passion du poker. « Cet amour du jeu remonte au temps où je jouais avec mon grand-père. J’ai toujours aimé ça. Je me rends au bord du précipice et je me redresse. Aujourd’hui je ne tombe plus. J’ai accumulé assez de force pour contrôler ça. »

Je lui demande si cette relation avec le jeu inquiète son chum. « Il comprend ça. Il apprivoise ça. Je ne suis pas toujours facile à vivre, tu sais. Mais en même temps, il a besoin de ça, sinon il s’ennuierait », s’esclaffe-t-elle.

Plusieurs chansons font état de la « survivante » que France Castel symbolise depuis quelques décennies. En a-t-elle marre qu’on lui accole encore cette étiquette ?

La survivante, je n’en parle plus. Mais je retiens celle qui est encore vivante.

France Castel

« Je suis heureuse de projeter une image inspirante pour les gens de ma génération qui ne sont pas représentés. Il y a plein de gens comme moi. Mais on ne les voit pas. »

D’abord une chanteuse

À force de multiplier les rôles au cinéma et à la télévision, France Castel a fait oublier au public la chanteuse qu’elle fut d’abord. C’est en compagnie de Roger Gravel, père d’un de ses fils, qu’elle a gravé ses premiers disques. Celui qui était pianiste à l’émission Les couche-tard est tombé amoureux de la ravissante Miss Couche-Tard.

« C’est comme ça que j’ai fait mes premières chansons. »

Moi, j’ai toujours couru à l’énergie. Je suis du genre à attraper les choses. À cette époque, je voulais surtout vivre un amour pour toute la vie et faire des bébés.

France Castel

Étonnamment, elle a fait ses débuts comme chanteuse soliste pour ensuite devenir choriste, notamment pour Diane Dufresne et Jean-Pierre Ferland. « J’ai tellement aimé cette période. J’étais heureuse de faire ça. J’aime chanter en chœur et j’aime les gangs. Je viens d’une famille de huit enfants. »

Puis, il y a eu cette collaboration importante et fertile avec Christine Charbonneau, une autrice-compositrice dont il faudra un jour raconter l’histoire. Avec elle, elle a enregistré plusieurs chansons, dont le succès Du fil, des aiguilles et du coton qui fut adapté en anglais sous le titre de To One and All.

Les enfants et les petits-enfants de France Castel ont peu connu la chanteuse. Celle qui fait un retour sur disque ne s’en formalise pas une miette. « Ma fille était venue me voir dans Starmania. Parfois elle écoute mes vieilles chansons. »

Une voix malmenée

Que devient une chanteuse quand les engagements comme actrice viennent de partout ? Est-ce qu’elle continue de bichonner sa voix ? « J’ai perdu ma voix cristalline et pure à cause de ce que l’on sait. C’est arrivé après Starmania. J’ai malmené ma voix. J’avais un immense registre et je l’ai perdu. »

France Castel parle de cette voix dont le souvenir est porté par ses premiers disques sans l’ombre d’un regret. « Cette expérience m’a permis d’aller voir ma colère. Je suis revenue avec moins de souffle, mais tout le travail que j’ai fait sur moi m’a donné une autre voix qui est avec moi maintenant. J’ai plus de rondeur. On sent mon vécu. »

Les nouvelles chansons de ce nouveau disque paraissent alors que l’industrie du disque a considérablement changé avec l’ère du numérique. Les producteurs ont quand même tenu à produire un certain nombre de CD. Pour le reste, France Castel nourrit peu d’attentes.

Ça va sans doute préoccuper le producteur, mais moi ça ne me dérange pas si je ne fais pas d’argent avec ça. Je veux que tout le monde soit payé et que le producteur soit heureux.

France Castel

Est-ce qu’un spectacle va naître de ce disque ? France Castel n’en est pas sûre. « Avec France Beaudoin, on avait convenu de spectacles virtuels. On va voir ce qu’on va faire avec ça. »

Pour le reste, elle souhaite simplement que ce disque fasse « le bout de chemin qu’il a à faire » et qu’il touche le public en plein cœur. « À mon âge, il me reste à devenir un meilleur être humain. Ce disque raconte l’histoire d’une femme qui a vécu toutes sortes d’affaires, encore pognée avec des démons, mais qui les berce aujourd’hui au lieu de leur donner raison. C’est ça, ce disque. »

France Castel

Chanson

France Castel

France Castel

Disques Artic (sortie le 28 octobre)