Nous avons été environ 1,2 million de téléphages à assister en direct au cri primal du psychiatre Martin Charbonneau (Christian Bégin) dans Indéfendable et 1,2 million d’accros à nous intéresser au bilan sanguin de la travailleuse sociale Delphine Martin (Virginie Ranger-Beauregard) dans STAT.

C’est énorme, deux séries quotidiennes qui attirent chacune 1,2 million de fans à TVA et à Radio-Canada à 19 h. L’effet attendu de locomotive des avocats du cabinet Lapointe-MacDonald et des médecins de l’hôpital Saint-Vincent n’a toutefois pas tiré vers le haut les autres téléséries des deux chaînes rivales, bien au contraire.

Mardi, les émissions de fiction canon des cases de 20 h et 21 h en ont solidement arraché dans les sondages d’écoute. À Radio-Canada, le titre d’époque Pour toi Flora (394 000) et le thriller policier Cerebrum (363 000) ont chuté sous la barre des 400 000 téléspectateurs. C’est bien bas pour des émissions aussi prestigieuses.

Glissade similaire à TVA, où Les honorables 2 n’a été regardée mardi que par 340 000 irréductibles à 21 h. Une heure avant, Anna et Arnaud s’en est mieux sortie avec ses 584 000 curieux. Mais encore ici, on est très loin de la barre magique du million. Et encore plus loin des performances étincelantes de STAT et d’Indéfendable.

Mercredi soir, la tendance baissière a de nouveau été constatée. Les moments parfaits et La faille de TVA ont chacune intéressé 500 000 personnes. Tristesse à Radio-Canada, alors que la série dramatique de l’année, C’est comme ça que je t’aime 2, n’a été vue que par 298 000 fidèles.

Du côté de Noovo, les deux grosses séries de l’automne, soit Une affaire criminelle (163 000) et Chouchou (235 000), n’ont pas cassé la baraque non plus.

Dans le milieu très mémère de la télé, ces contre-performances des grands réseaux sèment l’inquiétude. Comment se fait-il qu’il y ait autant de monde devant sa télé à 19 h et que ces gens disparaissent des écrans à 20 h et à 21 h ? Où est passé tout ce monde qui avait quelque chose à regarder ?

« C’est grave, ce qui se passe. Il y a clairement un problème de rétention », m’a confié un espion expert dans l’analyse des données de la firme Numeris.

Il y a plusieurs pistes d’explications à cette débandade. La première : l’offre abondante de produits d’ici. Il y a tellement de séries québécoises, à tous les postes, tous les jours, pendant toute l’année, sur un paquet de plateformes différentes, que les consommateurs se sentent ensevelis, écrasés, étouffés. Résultat : les clients se découragent et abandonnent. Trop, c’est comme pas assez. Bye.

C’est mon travail de surveiller et de suivre ces productions et je n’y arrive plus. À cette liste déjà bien garnie, il faut ajouter 5e Rang, Alertes, L’échappée, Hôtel et Avant le crash, sans oublier les comédies Moi non plus !, Discussions avec mes parents et Entre deux draps. Ça fait beaucoup de stock à engloutir.

Autre observation pertinente : TVA, Noovo et Radio-Canada ont recyclé plusieurs productions de leurs services payants (Club illico, Crave et Extra de Tou.tv) telles Les honorables, Une affaire criminelle, Cerebrum, Pour toi Flora et C’est comme ça que je t’aime.

Des dizaines de milliers d’abonnés ont déjà dévoré ces contenus et ils épluchent sûrement le catalogue de Netflix ou de Disney+ pour étancher leur soif de nouveautés.

Évidemment, la majorité d’entre nous enregistrons nos émissions pour les visionner en différé pendant les vacances ou un long week-end de congé (allô l’Action de grâce). Les chiffres cités précédemment ont été compilés en direct et n’incluent pas le rattrapage, qui fait souvent doubler la cote d’écoute. Radio-Canada affirme que la baisse d’écoute de son auditoire moyen de fin de soirée n’atteindrait que 2 % en comparaison avec l’an dernier. Donc, pas de raison de paniquer.

Il ne faut pas négliger non plus le pouvoir d’attraction des Netflix, Apple TV+ et autres Amazon Prime Vidéo qui proposent des téléséries de prestige qui valent des millions l’épisode et qui arrivent déjà doublées en français. C’est loin d’être évident de concurrencer House of the Dragon avec des téléromans québécois qui coûtent le prix d’une perruque peroxydée des Targaryen.

Selon les analystes, nous serions nombreux à nous intéresser aux deux quotidiennes phares de 19 h. On se branche sur STAT ou Indéfendable en direct et on rattrape l’autre par la suite, ce qui empêche les séries de 19 h de jouer pleinement leur rôle de locomotive.

« C’est le prix à payer pour avoir deux bons shows l’un contre l’autre », constate Karine Courtemanche, PDG des agences média Touché ! et PHD Canada.

Une taupe me rappelait cette semaine que les mois de septembre et octobre ont toujours été éprouvants pour la télé québécoise. « Il fait encore beau et les gens profitent de la météo. Dès qu’il va commencer à faire froid, au début novembre, les chiffres vont remonter, c’est toujours comme ça », me disait cette source expérimentée.

N’oublions pas que nous reculons l’heure dans la nuit du 5 au 6 novembre. Plus il fait noir tôt, plus on a tendance à rester chez soi, surtout sous les pluies glaciales de novembre, au secours, j’ai maintenant les paroles de November Rain de Guns N’ Roses dans la tête, rien ne va plus.