Pas de besoin d’arborer une poitrine soufflée à l’hélium, de bitcher sauvagement ses camarades, de sombrer dans la vulgarité ou de saboter les escarpins de sa voisine de miroir pour gagner un prestigieux concours de drag queen.

Ces clichés, qui datent d’une autre époque, ont la couenne dure, hélas ! Mais la Montréalaise Gisèle Lullaby les a pulvérisés, jeudi soir, en remportant à coups de gentillesse et de talent la troisième saison de la téléréalité Canada’s Drag Race de la plateforme Crave, une création de la reine mère elle-même, RuPaul.

PHOTO FOURNIE PAR BELL

Gisèle Lullaby, gagnante de Canada’s Drag Race

Durant les neuf épisodes de cette compétition chauffée par Brooke Lynn Hytes, Gisèle Lullaby, première Québécoise à remporter ce titre en trois ans, a toujours volé au secours de ses consœurs qui en arrachaient avec la machine à coudre. Et même si cette aide affaiblissait ses chances de repartir avec la cagnotte de 100 000 $, Gisèle Lullaby a offert ses services de designer sans compter, toujours pimpante, jamais méprisante.

« Il y a une différence entre être méchant et être drôle. Quand on fait un commentaire, il faut que ça soit constructif. Ma mère m’a toujours dit de traiter les autres comme je voudrais qu’ils me traitent. Je suis comme ça, j’ai toujours aidé. C’est ce que je fais au Cabaret à Mado. Arranger les autres, ce n’est pas un problème. Mais si j’aide le monde, c’est parce que moi, je suis prête », explique Simon Gosselin, l’homme de 34 ans derrière les robes flamboyantes de Gisèle Lullaby, un nom de scène créé en hommage à la top mannequin Gisele Bündchen et à une libellule.

« Oui, à l’époque, je croyais vraiment que libellule en anglais, c’était lullaby », dit en rigolant Simon Gosselin. Dragonfly est le mot qu’il cherchait.

Simon Gosselin et 11 autres drag queens ont été enfermés à Toronto pendant six semaines au printemps, le temps d’enregistrer les émissions de Canada’s Drag Race dans le plus grand secret. Une deuxième candidate québécoise, Lady Boom Boom, de Québec, a participé aux épreuves de passerelle. Elle a terminé au huitième rang et aurait mérité un meilleur sort, à mon avis. Son élimination a été beaucoup trop hâtive.

Ce qui a frappé Simon Gosselin/Gisèle Lullaby à Canada’s Drag Race ? Le manque d’intérêt total du Canada anglais envers la culture québécoise. « À part Céline Dion, ils n’ont aucune idée de ce qui se passe ici. J’ai trouvé ça vraiment triste. Non seulement ils ne connaissent pas nos chanteuses, mais ils n’ont pas le goût d’en apprendre davantage », constate Simon Gosselin en entrevue.

Par exemple, Gisèle Lullaby a parlé de Maurice Richard et de Michèle Richard dans un sketch, et le gag a fait patate, seule la Québécoise Lady Boom Boom ayant capté la référence. Aussi, Lady Boom Boom a songé à camper Julie Snyder au populaire jeu des imitations – le snatch game, en anglais –, mais personne n’avait la moindre idée de qui il s’agissait. Encore ici, bruits de criquets.

Même Marie-Mai, qui a pourtant percé dans la téléréalité anglophone The Launch du réseau CTV, n’a pas passé le test. C’est que Marie-Mai, avant que la COVID-19 ne bouscule ses plans professionnels, devait apparaître comme juge invitée à Canada’s Drag Race 3. La production avait alors demandé aux concurrentes de préparer un lipsync sur sa chanson Heart Attack. Divulgâcheur : aucune des collègues de Gisèle Lullaby n’avait entendu parler de Marie-Mai. Mary who ? May what ?

Tiens, tiens. Notre bon Canada anglais, toujours prompt à taper sur le Québec pour son « manque d’ouverture », s’intéresse zéro à ce qui bouillonne culturellement dans notre Belle Province. Honnêtement, c’est gênant, mais peu étonnant. Fin du commentaire politique.

Originaire de Boucherville, sur la Rive-Sud, Simon Gosselin connaît Jean-François Guevremont, alias Rita Baga, depuis l’enfance. C’est d’ailleurs comme danseur de Rita Baga, finaliste du premier chapitre de Canada’s Drag Race, que Simon Gosselin a entrepris sa carrière dans ce milieu nocturne.

Comme il a étudié en design de mode, qu’il a pratiqué le ballet, qu’il a aidé sa mère à comprendre les produits de beauté Avon qu’elle vendait de porte à porte, qu’il a fait de l’improvisation, qu’il a travaillé comme maquilleur professionnel, Simon Gosselin possédait toutes les compétences pour devenir une de ces reines de la nuit. Il cite Jinkx Monsoon, Sasha Velour et Raja comme ses modèles du côté américain. Trois drag queens super originales, qui présentent des looks éclatés, peu conventionnels, et qui chantent, dansent et, surtout, décrochent des rires.

Dans les premiers épisodes de Canada’s Drag Race, Miss Fiercalicious, 25 ans, a tenté de jouer la vilaine – un classique – en créant des conflits inutiles dans l’atelier. La manœuvre lui a explosé au visage (bien maquillé, disons-le) et c’est quand Miss Fiercalicious a montré sa vulnérabilité que les téléspectateurs l’ont adoptée.

Ce côté mesquin et chiant de Miss Fiercalicious a irrité Gisèle Lullaby qui, au troisième épisode, a traité sa collègue torontoise de « bully ». C’est la seule fois de la saison où Gisèle a vu rouge.

« Je suis fin. Je valorise l’amitié, l’humilité et la franchise. Je n’ai pas besoin de vivre dans un monde de divas », observe Simon Gosselin, qui a finalement abandonné son emploi de commis chez Linen Chest pour vivre pleinement de son art.

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