On ne l’espérait plus, la suite de la brillante minisérie danoise Borgen. La voici aujourd’hui sur Netflix, neuf ans après la dernière saison, avec son raffinement, sa complexité foisonnante et ses thèmes encore plus d’actualité que jamais.

Ce quatrième opus ne déçoit vraiment pas. Borgen : Le pouvoir et la gloire s’adresse à des adultes curieux et allumés, qui ont craqué pour des séries comme The West Wing et House of Cards, avec une touche scandinave extrasophistiquée.

Ce captivant thriller politico-médiatique asperge également ses cinglants jeux de coulisse d’une mission secrète de la CIA, d’une mort suspecte dans un fjord et de l’exploitation controversée d’un important gisement de pétrole au Groenland, qui forme le gros du squelette scénaristique de Borgen 4.

Précision avant de plonger à fond dans l’intrigue : nul besoin d’avoir englouti les trois premiers chapitres pour embarquer, à froid, dans Borgen 4. Quelques jolis flashs ne vous illumineront pas, mais l’histoire se suit sans problème — et sans googlage compulsif, merci.

Neuf ans après ses adieux télévisuels, nous renouons avec notre idéaliste préférée, soit la redoutable politicienne Birgitte Nyborg, qui a été la première femme à occuper le fauteuil de premier ministre du Danemark, souvenez-vous.

Âgée de 53 ans, Birgitte Nyborg dirige maintenant le ministère des Affaires étrangères dans un gouvernement de coalition mené par la première ministre Signe Kragh, 41 ans. Oui, Birgitte se retrouve devant ce qu’elle a incarné dans la première saison de Borgen : une jeune cheffe de gouvernement aux idées fraîches.

La nouvelle première ministre danoise inonde les réseaux sociaux de photos des lunchs (hyper santé, évidemment) de ses enfants et de mots-clics tapageurs comme #GirlBoss. Birgitte hait Instagram et Twitter, ce qui la place dans une position réactionnaire inhabituelle pour elle, si progressiste et ouverte.

Les #GirlPower et autres #PouvoirAuFéminin n’empêcheront pas la multiplication des coups fourrés entre la première ministre et notre formidable Birgitte Nyborg. Vous verrez, c’est beaucoup plus subtil, rusé et efficace que du banal crêpage de chignon.

Autre point important dans Borgen 4 : Birgitte Nyborg vit son Loto-Méno à fond avec bouffées de chaleur et sautes d’humeur. Et les hormones ? Pas question. Comme Birgitte Nyborg a survécu à un cancer du sein, sa médecin lui déconseille ce traitement. Birgitte se résignera donc à changer plusieurs fois de chemisier griffé par jour.

Le quatrième volet de Borgen s’éloigne de la conciliation travail-famille qui a coloré la série à ses débuts. Birgitte habite seule et ne fréquente aucun homme (ou aucune femme, ne présumons de rien). Ses deux enfants adultes ont déserté le nid familial, un charmant temple de hygge avec ses meubles Jacobsen et son éclairage aux chandelles beiges.

Et Birgitte ne ressent plus aucune culpabilité à s’investir complètement dans son travail. Encore plus réjouissant pour elle : personne à la maison ne lui reproche ses horaires de travail chargés et impossibles.

PHOTO MIKE KOLLÖFFEL, FOURNIE PAR NETFLIX

Sidse Babett Knudsen incarne le personnage de Birgitte Nyborg dans la série Borgen.

Le boulot s’empile sur le bureau de Birgitte, notamment l’épineux dossier du forage du pétrole au Groenland. Cette île glacée (et rattachée au Danemark) reposerait sur une réserve d’énergie fossile aussi importante que celle de la Norvège. Il s’agirait donc d’une fontaine à essence valant des milliards de dollars en revenus potentiels.

Mais comme Borgen se déroule au Danemark, royaume du vélo urbain, de l’accord de Paris et de l’énergie verte, le cabinet de Birgitte Nyborg s’oppose à ce que les Groenlandais puisent dans cette mer de pétrole. Ce qui déclenche une crise politique mondiale, qui implique la mafia russe, le gouvernement chinois et la population autochtone du Groenland, qui espère se sortir de la pauvreté avec l’argent de l’or noir.

Borgen illustre avec une intelligence fine le choc entre la réalité du terrain et les beaux principes écologiques. Taxée de politicienne « café latté », donc déconnectée des électeurs de la majorité moins aisée, Birgitte vogue d’une controverse à l’autre, toujours à un cheveu d’être dégommée. Ça joue extrêmement dur, et l’expérience de Birgitte la servira jusqu’à un point de bascule, où elle retournera sa veste (pas encore détrempée). Le pouvoir et, surtout, la peur de le perdre exigent des compromis rugueux pour Birgitte, désormais dépouillée de ses illusions et moins souple qu’à l’époque.

Le volet médiatique de Borgen occupe encore un espace important, et c’est passionnant. La journaliste Katrine Fonsmark, qui a été l’attachée de presse de Birgitte Nyborg il y a dix ans, retourne à l’information comme patronne à la chaîne TV1 et se collettera avec la présentatrice vedette Narciza.

L’enjeu du conflit ? La propension de Narciza à privilégier sa vie personnelle au détriment de son travail. Cette situation irrite les ergomanes comme Katrine, qui ont tout sacrifié pour leur boulot. Autant en politique que dans les médias, Borgen talonne des personnages féminins forts et nuancés, qui naviguent sur des eaux agitées. Laquelle des héroïnes perdra sa couronne dans une vague trop forte ?

Pour ceux qui l’ignorent, Borgen, c’est le surnom que les Danois donnent au château de Christianborg, où siège le gouvernement. Et il ne peut y avoir qu’une seule reine.