C’est un style de télévision populaire et connecté sur le public qui s’éteint, en un claquement de doigts, avec le débranchement de l’émission quotidienne de Denis Lévesque à LCN et TVA.

Ce plateau éclectique, qui accueillait autant des vedettes, des personnages hyper colorés que monsieur et madame Tout-le-Monde, quittera les ondes le jeudi 19 mai à 20 h après 16 ans à l’antenne et plus de 3000 épisodes au compteur.

Et c’est dommage. Peu d’animateurs sur les chaînes traditionnelles invitent des gens dits ordinaires sur leur plateau. On préfère les analystes, les ex-politiciens ou les experts patentés au détriment de « simples citoyens qui éprouvent de réels problèmes et qui vivent avec les conséquences de ces problèmes », note Denis Lévesque.

Formé à la radio AM au Saguenay–Lac-Saint-Jean, Denis Lévesque a toujours ouvert son studio à ceux que les médias traditionnels boudaient. Il pouvait parler du bichon maltais Baby violé par un voisin, d’une dame de Roxton-Pond morte au jeu du lancer du couteau ou d’une jeune femme de 27 ans de Québec qui a reçu un cœur mécanique parce qu’elle buvait trop de boissons énergétiques.

En parallèle, le polyvalent Denis Lévesque suivait le procès de Guy Turcotte, fouillait l’affaire Cédrika Provencher et interviewait Larry King ou Charles Aznavour. Le tout avec son style franc, direct et dénué d’ironie, qui a fait sa marque de commerce.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE DENIS LÉVESQUE

Denis Lévesque avec Tristan Laflamme-Millette, invité à parler du défi « têtes rasées » en 2012.

Oui, les humoristes ont bien rigolé des invités flyés qui ont confessé des trucs abracadabrants devant Denis Lévesque. Les gags à son sujet ne le froissent pas et il rit encore de l’imitation que Marc Labrèche fait de lui. « Marc, il a fait évoluer le personnage. Il ne se contentait pas de dire : ce soir, je reçois un Martien », note Denis Lévesque, 63 ans, en couple avec Pascale Wilhelmy depuis 13 ans.

Denis Lévesque connaît super bien le personnage de Denis Lévesque. En mai 2016, quand il a reçu la conférencière Jani Barré, il a joué le jeu à fond en présentant son invitée comme « une lesbienne en fauteuil roulant ex-alcoolique, qui souffre d’une rare maladie ayant entraîné 157 fractures depuis sa naissance, ce qui l’a amenée vers une sérieuse dépression dont elle s’est sortie en devenant humoriste ».

Bien sûr qu’il a fait exprès d’en beurrer aussi épais. Vaut mieux écrire la parodie soi-même, non ? « Je me suis amusé avec ça. Elle-même [Jani Barré] se décrivait de cette façon dans son livre », dit en rigolant Denis Lévesque.

Si Denis Lévesque tire la plogue, c’est en raison de la pandémie, qui l’a usé à la corde. Les interviews en Zoom sans contact humain, les nombreux bogues techniques et la COVID-19, qui a monopolisé l’actualité des deux dernières années, ont émoussé l’enthousiasme du journaliste natif de Roberval.

« On avait planifié et pensé notre émission pour être la plus variée en termes de sujets. Mais avec la COVID-19, il n’y avait qu’un seul sujet. »

La première année de pandémie a été pénible. La deuxième aussi. Après Noël, je n’avais plus le goût de rentrer travailler. J’ai des amis qui sont décédés ou qui ont été malades, ça remet les choses en perspective. Je ne suis plus dans une époque de ma carrière où j’ai le goût de me faire suer.

Denis Lévesque

C’est à TQS que Denis Lévesque est devenu une grosse vedette du petit écran. Au début des années 2000, il chauffait les débats de 22 h 30 qui suivaient Le Grand Journal. Ces chocs d’idées, très regardés, battaient même le talk-show Devine qui vient ce soir ? de Josélito Michaud à TVA.

CAPTURE D’ÉCRAN TÉLÉ-QUÉBEC

Marc Labrèche dans une de ses parodies de Denis Lévesque et Pascale Wilhelmy

Puis, à l’été 2005, TQS a recruté Isabelle Maréchal pour prendre les rênes de Loft Story 2 et copiloter Le Grand Journal avec Denis Lévesque. Ce mélange des genres a irrité Denis Lévesque, qui ne souhaitait pas « lire les nouvelles avec la fille de Loft Story ». J’ai évoqué les frustrations du chef d’antenne de TQS dans cette chronique et son téléphone a immédiatement sonné : c’était le vice-président de l’information à TVA, Serge Fortin, qui lui déroulait le tapis rouge.

Avant de se glisser dans son fauteuil de LCN, le 17 avril 2006, Denis Lévesque a passé une semaine avec des bonzes de la chaîne CNN à New York. C’est d’ailleurs un consultant américain qui lui a suggéré de conclure chacune de ses émissions avec un geste signature, celui d’éteindre les lumières en claquant des doigts.

Aujourd’hui, les réseaux ne diffuseraient plus de confrontations musclées comme à l’époque du Grand Journal de TQS, croit Denis Lévesque. « Tout le monde a peur de la controverse. Si tu fais des débats en direct, ça peut être extrêmement casse-gueule. Avant, tu pouvais en échapper une et ce n’était pas si pire. Aujourd’hui, il faut que la personne fautive s’autoflagelle dans les heures qui suivent », constate-t-il.

Et recevoir des quidams qui n’ont aucune expérience en télé, c’est encore plus complexe. « Dans la télé moderne, tout est formaté, en 4K, avec beaucoup de préoccupations techniques pour l’image. Il y a des concepts d’entrevues dans des abris Tempo ou sur une balançoire. Mais ce n’est pas ça, une entrevue. Il suffit de s’asseoir devant quelqu’un et prendre le temps de lui parler, c’est tout », enchaîne Denis Lévesque, qui travaille toujours sans télésouffleur.

À son arrivée à LCN, Denis Lévesque produisait 225 émissions d’une heure par année. Il a réduit sa cadence annuelle autour de 150.

Pendant 16 ans, on a été un talk-show sans orchestre, sans public et même sans caméraman. Toutes les caméras étaient opérées par des robots. Bref, c’était un talk-show beau, bon et pas cher pour l’entreprise.

Denis Lévesque

Denis Lévesque ne quitte pas LCN dans l’amertume, au contraire. Ses patrons ont compris sa décision de ralentir le rythme et lui ont proposé d’animer 25 grandes entrevues pour célébrer les 25 ans de LCN en septembre.

Avant même que les réseaux sociaux n’existent, Denis Lévesque et son équipe ont compris les concepts de viralité et d’accroche. « Après la pause, je reçois celle que vous avez connue comme la lesbienne en fauteuil roulant, ex-alcoolique atteinte d’une maladie rare ayant entraîné 157 fractures, ex-dépressive et humoriste, voilà qu’elle est devenue boxeuse et marathonienne » !

Honnêtement, qui n’a pas le goût de regarder ce segment ?