La première fois que j’ai interviewé Mariana Mazza il y a une dizaine d’années, alors qu’elle était encore une inconnue, j’étais sortie de notre rencontre un peu étourdie. L’aspirante humoriste était une verbomotrice avec une confiance en elle à tout casser.

Elle était déjà la Mariana Mazza que nous connaissons, ce n’est pas arrivé avec le métier. C’est ce que je dis à ceux qui pensent qu’elle a changé, alors que moi, elle me fait rire. « J’ai toujours su ce que je voulais faire, dit-elle en revenant sur ses débuts. Ce n’est pas de la prétention, c’est comme ça que j’ai été élevée. Et depuis le premier jour, je ne voulais pas jouer la carte de la fausse humilité. Je pense que ça dérange le monde, parfois, que je sois confiante. C’est confrontant, mais je trouve que ça peut être un bon exemple de voir que ça existe, des gens qui sont confiants. »

Elle n’a pas changé. En fait, si, un peu : elle a souvent changé de look. Mariana Mazza s’est présentée à l’entrevue avec une nouvelle tête, une coloration rose dans ses cheveux qui tombent sur un superbe veston orange. Pendant notre conversation dans un café de Saint-Lambert où elle habite maintenant, j’ai pu constater un plus grand calme chez elle ; celui de la fille qui a appris à doser son énorme énergie qui lui sert pour la scène.

« La trentaine m’est rentrée dedans, confie-t-elle. J’essaie de me débarrasser de cette envie de plaire. Ce que je ne faisais pas il y a dix ans, quand je disais ouvertement que je voulais que tout le monde m’aime. J’ai lâché le combat depuis longtemps. C’est comme ça depuis que je suis toute jeune. Je suis celle qui parle le plus fort, celle qui lève la main. Je pense que je vis tout de façon tellement intense que les gens essaient de mettre le doigt sur des choses, genre “elle manque d’attention” … Mais non, je vis juste intensément toutte. »

Dans sa chronique Carte blanche écrite pour La Presse en janvier, où elle parlait de cette drogue qu’est le public pour un humoriste, elle a révélé qu’elle prenait des antidépresseurs, ce qui est un élément de son programme personnel pour prendre soin d’elle. « C’est un anxiolytique en fait, explique-t-elle. Juste pour éviter les gros high et les gros down après les spectacles. Les humoristes, notre job continue après notre shift. Dans la rue, dans un bar, sur les réseaux sociaux. Je voulais éviter la panique. Cette pilule ne fait pas des miracles, elle fait juste stabiliser les écarts émotifs que je peux avoir. »

Ce n’est pas humain, ce n’est pas normal ce qu’on vit. Ça fait un an et demi que personne ne m’applaudit. Je recommence et c’est comme un alcoolique qui retouche à l’alcool, il se rappelle ce qu’est le goût. C’est bon, mais c’est dangereux.

Mariana Mazza

« En tout cas, ça fait un an et demi que je n’ai pas de high, poursuit-elle. Je me suis rendu compte que je suis privilégiée de faire ce que j’aime, de gagner grassement ma vie, d’être en bonne santé, d’avoir une belle équipe. On dirait que tout va tellement bien que je ne voulais pas prendre le risque qu’une cellule explose. Parce que ce succès-là n’est pas éternel. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Mariana Mazza à ses débuts en 2013, dans le cadre d’une série sur les « nouveaux visages ».

Mais il est bel et bien là, puisqu’elle a remporté le prix de l’humoriste de l’année au dernier Gala Les Olivier, à sa grande surprise, car elle avait choisi de prendre du repos ce soir-là entre plusieurs dates de son nouveau spectacle Impolie. Elle a pleuré à chaudes larmes dans une vidéo sur Facebook en remerciant tout le monde. Elle voulait se ménager parce qu’elle se donne à fond quand elle participe à un gala, puisqu’elle refuse la monotonie dans tout ce qu’elle fait, qu’il s’agisse d’un spectacle, d’un film, d’une émission de télé ou d’une exposition de ses toiles.

« Il faut avoir un équilibre, et je l’atteins en faisant attention. En m’entraînant, en voyant des amis, en faisant un gros ménage dans mon entourage, en m’écoutant quand je veux siester, en mangeant bien, en parlant de mes émotions quand ça ne va pas, en faisant des marches. C’est une conscience que je n’avais pas il y a 10 ans. Avant, c’était "all in, guns out" ! Je trouve des solutions pour éviter de crasher. »

Quand même, est-ce qu’elle a déjà connu un gros creux dans sa vie ou sa carrière depuis dix ans ? « Je n’ai pas eu de période sombre, mais je pense que l’humanité est dans la période la plus sombre de mon vivant et je n’aime pas la vie dans laquelle nous sommes en ce moment. L’internet et ce qui se dit sur l’internet me terrorisent. C’est violent. Les gens sont tannés, en colère, on n’a jamais été aussi divisés alors qu’on a vécu l’évènement le plus rassembleur avec la pandémie. »

J’ai perdu des gens autour de moi parce que j’ai dit quelque chose sur un sujet. Tout le monde est grossophobe, raciste, les gais devraient jouer des gais, c’est rendu freak. Si j’ai eu un down, c’est parce qu’on dirait que je n’ai jamais autant senti une fin du monde qui s’en vient. À quoi ça servait de vendre des billets si tout le monde est malheureux ?

Mariana Mazza

L’autofiction en humour et sur la table de chevet

Sur scène, c’est « all in, guns out » pour vrai avec Mariana Mazza. Je suis allée voir son show à l’Olympia, et c’est Mariana dans toute sa splendeur et son impudeur qui frise les oreilles. Elle montre sa bedaine, fouille son nombril, raconte des trucs gênants et très intimes — notamment comment sa participation à Salut Bonjour s’est terminée en queue de poisson — en plus de gérer l’excitation du public qui réagit au quart de tour. « Ça fait un bout de temps que le monde ne sort pas, note-t-elle. Ils boivent plus et sont plus énervés. Et j’aime ça crinquer le monde ! »

Son humour n’est pas pour tout le monde, mais il n’est jamais plate. Elle compare son style à la truffe ou à la coriandre. Extraordinaire, si tu aimes ça. Je trouve aussi qu’elle bardasse joyeusement son public, mais elle possède en même temps un sacré contrôle de la foule. « J’aime sentir que c’est un bordel contrôlé » précise-t-elle.

Tout de même, ne craint-elle pas un spectateur qui pourrait agir comme Will Smith aux Oscars ? « Non, parce que c’est rempli d’amour et que je me bardasse moi aussi, répond-elle. Je t’envoie un ballon chasseur, mais je m’en renvoie trois à moi-même. Il y a toujours un sourire, une légèreté, je ne suis jamais fâchée. Ma façon d’aimer est un peu maladroite, comme dans les familles italiennes, arabes ou latines, mais il y a beaucoup d’amour, sinon je pense que le monde ne viendrait plus aux shows. »

Impolie a été conçu en partie avec des bribes qu’elle trouvait trop raides pour son précédent spectacle Femme ta gueule. C’est donc dire qu’il est encore plus frontal et cru. « J’aime particulièrement ce spectacle parce que je n’ai jamais été aussi vraie. Les gens rient tellement fort parce que c’est tellement “wrong”, ce que je dis. Ils ne sont pas habitués à voir quelqu’un qui est bien, qui parle facilement de son corps, du fait que je pue du nombril. Ce n’est pas de la vulgarité, c’est juste très réel. »

Mariana Mazza, qui parle de livres à l’émission Bonsoir Bonsoir !, est une grande lectrice. Dans son sac à main, elle avait Bermudes, de Claire Legendre. Elle adore l’autofiction, les histoires vraies, les romans d’Édouard Louis, le récent livre de Caroline Dawson, Là où je me terre, ou le dernier Alain Farah dont elle ne s’est pas remise. Et ça me frappe tout à coup. Je pense que c’est précisément ce qu’elle fait sur scène : de l’autofiction, dans la veine la plus draconienne, dans l’exposition de soi-même sans filet et sans protection.

Ce que j’aime dans mon genre d’humour, c’est que les gens ne se posent pas la question de savoir si c’est vrai ou pas. Tout est vrai. Il n’y a pas de bouclier, la plaie est ouverte et à vif, n’importe qui peut aller mettre son doigt dedans.

Mariana Mazza

Alors je ne suis pas étonnée d’apprendre qu’elle sortira à l’automne son premier livre, qui sera bien sûr une autofiction.

C’est pourquoi elle se protège de plus en plus, parce qu’elle en donne déjà beaucoup. Après cette entrevue, c’est un rare soir de congé, elle pense aller peindre une toile en buvant un verre, après avoir participé à son club de lecture sur Zoom avec des copines. J’ai toujours détesté les clubs de lecture, mais je pense que j’aimerais faire partie du sien. Car en partant sur les livres, nous avons jasé 45 minutes de plus, et elle a pris des notes pour aller à la librairie Le fureteur, où elle m’avoue qu’elle dépense un peu trop.

La tournée Impolie se poursuit au Québec. Sa première médiatique aura lieu le 26 avril à l’Olympia.

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