J’ai grandi dans une famille unilingue francophone, alors vous devinez que la question de la protection de la langue française au Québec est quelque chose que je prends au sérieux. Rien de bien original, ça suscite les passions depuis toujours dans ce coin de l’Amérique où on persiste à vouloir exister en français dans une mer anglophone. On n’a qu’à voir les critiques quand les jeunes de Star Académie choisissent trop de chansons en anglais.

Il me semble que cela nous place en bonne position pour comprendre l’importance de la survivance des langues autochtones, qui ont bien failli être éradiquées dans ce pays. J’ai donc été consternée en lisant la sortie du rappeur Samian sur Facebook à propos du Festival international de la chanson de Granby, qui l’avait invité et lui aurait demandé de respecter un quota de chansons francophones, même si son plus récent album, Nikamo, est presque entièrement en anishinaabemowin.

Lisez notre texte « Les organisateurs veulent dialoguer avec Samian »

J’ai parlé avec Samian qui m’a répété essentiellement ce qu’il a exprimé dans les derniers jours, mais aussi avec le Festival international de la chanson de Granby, où on m’a dit qu’on préférait ne pas poursuivre cette discussion dans les médias. On m’a aussi dit que si le festival était déjà en réflexion sur la place des artistes autochtones dans sa programmation, cet incident n’a fait que l’accélérer.

J’ai envie de m’attarder à la réaction que cette nouvelle suscite. Il y en a pour qui un festival de chanson francophone est voué à la chanson francophone, point, et les Autochtones n’ont qu’à participer à d’autres festivals s’ils veulent chanter dans leurs langues. Des festivals anglophones ou strictement autochtones ? Je me le demande.

On dirait même que, pour certains parmi les plus inquiets pour la survie du français au Québec, la question autochtone est en train de devenir un nouveau cheval de Troie multiculturaliste contre le Québec, plus particulièrement lorsqu’on leur dit que le français est une langue coloniale, elle aussi. J’avoue que ça fait mal à entendre quand on est québécois, mais d’un point de vue autochtone, c’est tout à fait vrai. L’anglais ou le français ont été pour eux des langues d’assimilation qui auraient pu faire disparaître la culture des 11 Nations autochtones du Québec et qu’une nouvelle génération est en train de sauver. La prise de parole et la reprise en main de leur destin doivent passer par la sauvegarde de leur langue. Comme francophone, je ne peux que comprendre. Même que j’aurais aimé apprendre l’innu pour lire Joséphine Bacon dans le texte.

Samian a raison sur ce point : la langue anishinaabemowin ne menace en rien le français, c’est plutôt elle qui est menacée.

Il y a 15 ans, m’explique-t-il, elle était rangée dans la section « langue étrangère » dans les quotas à la radio, alors qu’elle est parlée depuis des siècles par un peuple sur ce territoire – Samian est de la Première Nation abitibiwinni – bien avant qu’on y mette les pieds, francos ou anglos.

J’ai découvert Samian avec la chanson La paix des braves en collaboration avec Loco Locass sur son album Face à soi-même, sorti en 2007. Mon moment préféré quand je l’entends est de gueuler mackawisiak dans le petit bout du refrain qui est dans la langue de Samian et que je dois sûrement prononcer tout croche, comme quand, enfant, je répétais n’importe comment, à l’oreille, les paroles des chansons en anglais. Par la musique, cette langue que je n’avais jamais entendue est au moins entrée dans mes oreilles.

Mais je reconnais tout à fait l’importance capitale des festivals et concours de chansons francophones comme les Francouvertes, les Francos, Coup de cœur francophone, etc. Celui de Granby, fondé en 1969, est l’un des plus importants et des plus anciens. Ces évènements sont essentiels à la découverte, à la diffusion et à la survie des artistes francophones, encore plus dans un monde où les plateformes vampirisent les revenus et où l’anglais domine.

Mon amie la journaliste Marie-Christine Blais, qui couvre depuis longtemps ces festivals, me rappelle que la défense du français est dans l’ADN de ces évènements, et souvent même dans leur titre. C’est pour cela qu’ils ont été fondés.

Mais la donne a changé. Parce qu’il y a 50 ans, il n’y avait pas de chanteurs algonquins ou innus. Il y a effectivement une réflexion à faire quand de plus en plus d’artistes autochtones chantent dans leur langue.

Marie-Christine Blais, journaliste

Ce serait bien le comble que, pour protéger le français, on ne sache pas comment les accueillir. Il y a certainement moyen de reconsidérer le statut unique des langues autochtones au Québec dans des évènements francophones sans dénaturer leur mission. Surtout que nous avons en commun cette crainte de voir disparaître notre langue.

Nous devrions tellement nous sentir interpellés et être solidaires. Et nous le sommes de plus en plus, croit Samian, qui a vraiment vu du progrès dans les dernières années. Je le crois aussi. Avec son album dans mes oreilles, et me promenant dans ce quartier de mon enfance où les rues Montcalm et Wolfe seront toujours parallèles, je suis contente quand j’arrive à la rue Atateken – qui signifie « frère et sœur » en mohawk – parce que je ne m’ennuie pas du tout de son ancien nom, la rue Amherst.