Des pros. Vous êtes devenus des pros de l’art de vivre sous pandémie.

Bien malgré vous, évidemment, et ce n’est pas tous les jours facile, mais quand même.

En vous demandant dans ma dernière chronique quels sont vos trucs pour tenir jusqu’au printemps dans cette période très incertaine, j’ai reçu une avalanche de courriels qui donne une bonne idée de votre état d’esprit. Les gens qui prennent le temps d’écrire des courriels, plutôt que de se défouler dans les commentaires d’une publication Facebook, sont un peu les descendants des lecteurs qui envoyaient des lettres par la poste, en collant un timbre. Et je respecte ça, je les lis tous – au contraire des commentaires sur FB que je ne lis jamais –, et ça peut parfois me prendre une bonne journée.

Vous avez fait le deuil de l’attente. Beaucoup de choses vous manquent, mais vous vous concentrez sur ce que vous avez, dans le présent. J’ai même l’impression que pour certains, il y a deux ou trois trucs du monde d’avant que vous n’avez pas envie de retrouver. Vous vous êtes habitués à une certaine lenteur. « Père d’une famille de trois enfants en bas de 10 ans, c’est le constat que nous tirons encore chaque jour de cette pandémie : nous allions trop vite, tout le temps, avant », écrit Nicolas.

Vous marchez, parfois vous faites de la course, mais bon dieu que vous marchez. Je dirais que 90 % des courriels reçus me parlent de promenade quotidienne, peu importe le temps qu’il fait, pour garder la santé physique et mentale. C’est une habitude qui s’est probablement étendue avec le télétravail. Vous êtes nombreux à vous réjouir du soleil éclatant de l’hiver et des journées qui s’allongent. Vous avez fini par vous créer une routine bien à vous, comme Louis XIV avait créé la journée parfaite d’un roi en imposant l’étiquette à la cour de Versailles.

Les arts et les communications comptent pour beaucoup dans cette journée. Plusieurs confient qu’ils n’ont jamais autant lu, ce qui explique la hausse des ventes de livres au Québec depuis deux ans.

Vous découvrez de la musique et écoutez la radio, vous regardez des films et des séries, jouez à des jeux vidéo, c’est ce que vous feriez de toute façon dans le glacial mois de janvier, mais vous voulez créer aussi. Vous faites de la peinture, du dessin, du tricot, j’ai même reçu des photos de vos œuvres, dont celle de Laurent, qui fabrique d’énormes masques colorés. Jean-François a décidé d’acheter ce drum que sa mère n’a jamais voulu lui offrir. Vous classez une fois pour toutes vos vieilles photos ou vous tenez un journal intime. Il y a Lucie qui, avec ses amis, joue au billard par FaceTime : « Nous sommes 4 qui avons une table de pool. On met nos caméras face à la table. On fait nos équipes et la partie commence. Première équipe qui réussit à entrer 50 boules. »

Claude, plutôt champ gauche, donne ses quatre trucs pour passer au travers de la pandémie : « 1) On haït les journalistes achetés par la CAQ et le gouvernement Trudeau. 2) On fait tout ce que les deux gouvernements nous empêchent de faire. 3) On prend notre carte du Parti conservateur du Québec. 4) On sacre notre camp en dehors de cette province merdique. »

Il est le seul dans tout ce que j’ai reçu – et les courriels sont rentrés pendant trois jours – à détonner dans le lot, et il a bien le droit. On lui souhaite un bon déménagement hors de cette « province merdique », et merci de nous lire, Claude. Mais en général, vous tenez à une information de qualité, par les journaux, la radio ou la télé, sauf que vous êtes unanimes à dire que vous sautez maintenant ce qui concerne les nouvelles de la COVID-19. Vous ne laissez plus entrer comme avant la noirceur pandémique, vous prenez de plus en plus une pause de ce qui est toxique sur les réseaux sociaux, vous vous protégez, mais sans forcément vous replier sur vous-mêmes. Vous faites du bénévolat, vous aidez vos voisins, vous appelez tous les jours quelqu’un pour savoir comment il va. Et quand vous n’allez pas bien, vous êtes plus indulgents envers vous-mêmes. « Quand j’ai de la peine, je la laisse sortir sans me juger », écrit Camille, qui croit que nous sommes collectivement « dans la porte-patio d’une nouvelle époque ». « Après ça, je me réfugie dans des trucs qui me font du bien, comme m’habiller avec des couleurs pâles, écouter Harry Potter et manger du Chocosquash. »

Vous relativisez cette période omicronienne, car vous pourriez être en Syrie ou au Yémen. Mais ceux qui ont l’âme aventurière passent beaucoup d’heures à planifier un voyage qui a bien souvent été annulé une ou deux fois. Ce qui compte, ce n’est pas la destination, c’est le chemin, n’est-ce pas ? Enfin, vous cuisinez énormément, c’est l’un des grands moments de la journée, on dirait, il y a la famille Hurtubise qui m’écrit pour me raconter qu’elle fait des soupers thématiques qui sont en même temps des cours d’histoire pour les enfants. Par exemple, un souper grec, qui sera l’occasion de situer la Grèce sur une carte, de parler de l’alphabet grec, des Jeux olympiques et de philosophie. « J’essaie de mieux comprendre ce que mes parents ont vécu : les deux grandes guerres, la grippe espagnole, confie la grand-maman. Je me console, nous ne manquons de rien. Les épiceries travaillent fort, nous sommes gâtés par tous les médias, les concerts en ligne, nous pouvons communiquer. Rien à voir avec le siècle dernier. Puis, nous avons le vaccin ! Il faut être patients. »

Les plus sages d’entre vous ont répété ce mot : patience. Une vertu dont on avait tendance à oublier les effets dans la vitesse du temps d’avant.

Yvan se fait philosophe : « À l’usure, j’intègre finalement de mieux en mieux la position actuelle de l’OMS que j’avais vu venir, comme beaucoup d’autre monde, depuis l’automne dernier : la pandémie ne s’effacera pas en trois giclées de vaccin, va falloir faire du coronavirus quasiment une façon de vivre de la même façon qu’un diabétique ou un porteur du VIH doit en tenir compte dans sa vie et dans ses rapports. »

Enfin, il y a Christiane, 62 ans, qui combat un cancer, et qui a envoyé un message fort à La Presse : « Lâchez pas. Car c’est grâce à vous et à vos collègues qu’on tient chez nous à ne pouvoir rien faire. Je vous lis en chimio, en attendant de passer mon scan, prises de sang, etc. Vous me suivez partout. Trois docs m’ont répété six à neuf mois pas plus, je débute mon 12e, grâce à vous autres qui m’avez accompagnée pendant tout ce temps. Un énorme merci et lâchez pas, si vous saviez le bien que vous nous faites. »

Ça nous a tellement touchés que nous lui avons envoyé un bouquet de fleurs. Qui que vous soyez, faites comme Christiane : ne lâchez pas.