Après le débranchement inopiné de son émission Le monde à l’envers, la série balado Contact, qui célèbre son premier anniversaire, est devenue le principal véhicule de Stéphan Bureau, un lieu où il souhaite que tous les points de vue puissent être audibles. Entretien avec un animateur inquiet face à ce qu’il qualifie de rétrécissement de la liberté d’expression, mais néanmoins convaincu de vivre une époque formidable.

Stéphan Bureau est-il inquiet du sort que notre époque réserve à la liberté d’expression ? Dans une salle de conférence de la boîte Sphère Média, où il accueille La Presse, l’animateur sourcille, comme si la réponse allait de soi.

« Je suis très inquiet », tranche-t-il après un long silence théâtral, en appuyant sur le très. « Parce qu’elle est battue en brèche. C’est un enjeu fondamental, il y a de réels périls et je vais continuer de le dire, quitte à payer le prix de ce que je passe pour paranoïaque. »

Je fais chier ma famille avec la liberté d’expression. On me dit : « Stéphan, t’es excédé, t’es excédant », mais tu pourrais m’offrir tout l’or du monde, que je n’en démordrais pas.

Stéphan Bureau

Il y a un an, le vétéran communicateur a dépoussiéré le titre de sa série Contact (qui avait pris l’antenne en 2006 à Télé-Québec) afin d’en coiffer son projet balado, qu’il envisageait d’abord comme une activité parallèle au grand plateau du Monde à l’envers. Là où il pourrait « donner la parole à des gens que je n’aurais pas pu rencontrer autrement », dit-il, avec ce luxe du temps long de l’entretien en profondeur, grâce auquel le médium du podcast s’est imposé en tant que salutaire solution de rechange au trouble de l’attention dont souffrent les médias électroniques traditionnels.

Mais en août 2023, au moment où le Groupe TVA a annoncé, un mois avant son retour en ondes, que la deuxième saison du Monde à l’envers ne viendrait pas au monde, Contact est illico devenue la principale activité de son loquace créateur. Depuis un an, il a reçu une cinquantaine d’invités de différents milieux, et non des moindres, dont Fanny Ardant, Georges St-Pierre, Frédéric Lenoir et Monia Chokri.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE TVA

Stéphan Bureau alors qu’il animait Le monde à l’envers à TVA.

Un bref coup d’œil au titre de chacun des épisodes, enregistrés à Paris ou à Montréal, esquisse cependant une ligne directrice correspondant à une des principales inquiétudes de son pilote, celle de la liberté d’expression, qui serait mise à mal : Les humoristes manquent-ils de courage ? (avec Guy Nantel), Criminaliser la parole (avec le dirigeant d’entreprise Didier Maïsto), Médias : au-dessus de tout soupçon ? (avec Marie-France Bazzo).

Évoquez son entrevue avec le candidat à la présidentielle française de 2022 Éric Zemmour qu’il s’empressera de mentionner celle qu’il a menée avec l’autrice de bande dessinée et fervente féministe Emma. « J’avais envie que des points de vue pas réconciliables soient diffusables au même endroit, fait-il valoir. Zemmour et Emma, il n’y a pas plus opposé sur le spectre. »

Un jeu dangereux

Mais face à qui croit qu’il serait préférable de ne pas tendre le crachoir à Éric Zemmour, condamné en 2022 pour incitation à la haine, Stéphan Bureau se braque.

Éric Zemmour m’intéresse fichument par ce qu’il incarne, ce qu’il canalise. Son succès dit quelque chose de la société dans laquelle il vit et c’est en l’entendant que je vais être capable de le comprendre.

Stéphan Bureau

« Faire taire ceux qui sont fâcheux, ce n’est jamais une bonne idée », plaide-t-il dans un flot ininterrompu qui lui est typique, tout en commentant constamment ses propres propos et en mentionnant avec un sourire en coin, au détour de sa tirade, être parfaitement conscient que son « abondance » verbale crée des problèmes au pauvre journaliste qui devra plus tard en extraire la substantifique moelle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’animateur Stéphan Bureau

« Je n’ai jamais eu d’autres ambitions que d’aider à mieux comprendre le monde dans lequel on vit. Ce à quoi on sert, c’est de poser des questions pour que le citoyen, qu’on respecte et qui est capable de discernement, puisse se faire une opinion, pas de lui en prémâcher une », explique-t-il, quitte à converser avec des intervenants aux propos pour le moins étonnants sur l’État profond (Didier Maïsto) et les ovnis (Alain Juillet). « Est-ce qu’on peut être critique de Zemmour, est-ce qu’on peut le chauffer ? J’espère. Mais à partir du moment où tu décides que certaines idées ne devraient pas être audibles, tu joues un jeu dangereux. »

À rebrousse-poil

Malgré ce que certains qualifieraient de virage idéologique, Stéphan Bureau demeure difficilement réductible à une étiquette, contrairement à ceux et celles, omniprésents dans le paysage médiatique, dont la pensée se déploie selon les frontières strictes d’une chapelle.

L’homme de 59 ans, qui vit ces temps-ci à Paris, semble souvent motivé par une envie, presque une compulsion, à prendre le consensus à rebrousse-poil. Exemple parmi tant d’autres : lors de sa première intervention sur les ondes françaises de BFM TV, où il agit à titre de consultant aux affaires américaines, le commentateur s’est fait un point d’honneur de défendre le bilan de la présidence de Donald Trump.

La guerre en Ukraine ? « La presse occidentale a passé la première année et demie de ce conflit à nier le réel et à proclamer que la Russie était en train de perdre, à souhaiter quelque chose au nom de la vertu, insiste-t-il. Ce n’était pas de la bonne information. »

Que trois figures majeures de la télé québécoise – Marie-Claude Barrette, Denis Lévesque et lui – se fassent désormais entendre sur la baladosphère (et sur YouTube) et que nombre de journalistes associés à de grands médias lancent leur propre plateforme n’est pas sans lien, selon lui, avec « une forme de strabisme très prononcé d’une presse qui, à répétition, a fait la preuve qu’elle ratait le bateau », notamment durant la pandémie, « où on n’a pas été là où on nous attendait ». Autrement dit : pas assez critique.

Relisez notre entretien avec Marie-Claude Barrette

En juillet 2021, l’hôte de Bien entendu a reçu un blâme de l’ombudsman de Radio-Canada pour sa manière d’avoir mené l’entrevue avec le controversé médecin français Didier Raoult. Ce feuilleton médiatique cristalliserait, selon les points de vue, son image de martyr de la liberté d’expression, de défenseur d’une conception en voie de disparition du débat public ou de propagateur d’idées délétères.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphan Bureau a piloté l’émission radiophonique Bien entendu, sur ICI Première, pendant cinq étés.

« C’est un processus qui s’est fait bien malgré moi », observe celui selon qui l’apparition de Trump dans l’arène politique aura marqué un tournant dans le monde de l’information, « quand certains ont dit que compte tenu de ce que Trump incarne une menace sans précédent, nous devons pratiquer le journalisme différemment, nous devons mettre en garde ».

Une plus grande autonomie

« Le désamour ou la méfiance » d’une partie importante du grand public à l’endroit de la presse ne serait-il pas l’occasion idéale d’un peu d’introspection ? Stéphan Bureau abonde en ce sens. L’Enquête sociale canadienne sur la qualité de vie, les soins de santé virtuels et la confiance, menée en 2023 par Statistique Canada auprès de 10 000 citoyens partout au pays, a révélé que 53 % des répondants avaient un faible niveau de confiance envers les médias.

Les médias peuvent choisir de conclure qu’ils ne sont absolument pas responsables de ça, que c’est un enjeu qui les transcende, que ce sont les réseaux sociaux qui ont pollué l’espace public, ou se demander si leurs pratiques, l’absence de certains sujets, ont peut-être engendré de la méfiance.

Stéphan Bureau

Votre journaliste souhaiterait interrompre son interlocuteur qu’il en serait bien incapable. « De deux choses l’une : tous ceux qui ont une mauvaise opinion de nous sont des tarés qui ne savent pas bien lire. C’est possible. Mais je pense qu’il y a un examen de conscience à faire sur nos pratiques. Je ne sais pas si c’est normal de faire partie d’une profession dont tant de gens doutent, sans se demander d’où ça vient. »

Une époque formidable

Stéphan Bureau n’est cependant pas de ceux qui tiennent les tenants de ce qu’on appelle le wokisme responsables de tous les maux de la planète – « Il y a dans le monde des forces agissantes beaucoup plus puissantes que les wokes » – ni de ceux qui tenteront de vous convaincre que c’était mieux avant.

« Je crois que nous vivons l’époque la plus formidable qui soit », s’exclame celui dont le prochain chantier sera de pérenniser Contact, un projet pour lequel, malgré des partenariats avec QUB Radio et Télé-Québec, il sort encore beaucoup d’argent de ses poches. « L’époque me mobilise, me galvanise. »

Au-delà des invités à haut potentiel viral qu’il reçoit à son micro, Stéphan Bureau est aussi cet intervieweur sensible, à la culture généreuse, capable de mettre en lumière des personnalités sur lesquelles les projecteurs s’arrêtent rarement. Un des meilleurs épisodes de Contact ? Sa rencontre avec l’écrivaine Marie-Ève Lacasse.

« Est-ce que tous ceux qui ont écouté Mathieu Bock-Côté vont aller écouter Marie-Ève Lacasse ? », demande-t-il, une question purement rhétorique. « Bien sûr que non. Mais je sais qu’ils se sont compromis en visitant une plateforme où les deux sont audibles et ça, ça me plaît, parce que le plaisir du débat, ce n’est pas de gagner, mais le risque de changer d’opinion. »

Consultez la balado de Stéphan Bureau