Marc Dutil est président et chef de la direction du Groupe Canam depuis 2012. Il s'était joint à l'entreprise en 1989 et avait été nommé président et chef de l'exploitation en 2003. Il est également le président-fondateur de l'École d'entrepreneurship de Beauce.

Q Qu'est-ce que la croissance?

R Le mot croissance ne signifie pas la même chose pour tout le monde. Il y a deux semaines, je demandais à un diplômé de l'École d'entrepreneurship de Beauce quels étaient ses plans pour l'année prochaine. Je projetais sur cette personne les besoins et la pression de grandir que subit une entreprise cotée en Bourse. J'ai réalisé que grandir ne se traduit pas de la même manière selon l'entreprise. Pour quelqu'un dans la restauration, grandir, c'est peut-être aller chercher une étoile de plus, plutôt que de doubler le nombre de tables.

Q Est-ce que la croissance peut réserver des surprises?

R Absolument. Je crois que les périodes de croissance détruisent plus d'entreprises que les périodes de décroissance. La décroissance est désagréable, mais elle est facile à gérer. La croissance est agréable, et quand c'est agréable, on ne s'attend pas à avoir à faire des choses difficiles.

Je l'ai appris de manière assez intense: les gens en croissance oublient la pression énorme que ça crée sur les liquidités. Les banques honorent sans problème une ligne de crédit de 200 000$, mais quand la croissance doit amener la ligne à 2 millions, ce n'est plus le même gestionnaire, ce n'est plus le même niveau d'autorisation. Il faut que les gens soient prêts à la transformation et à la pression de leurs besoins financiers à la suite de la croissance.

Q Vous semblez parler d'expérience?

R En 2004, on a connu une reprise économique et la sortie d'une période de décroissance importante. Pendant la reprise, les prix des matières premières ont augmenté de près de 70%, alors qu'il y avait en même temps une augmentation du besoin de matières premières. Ç'a créé une pression énorme sur les liquidités des entreprises dans notre milieu et ç'a été drôlement difficile. Cette expérience nous permet aujourd'hui de regarder une période de croissance avec beaucoup plus de recul.

Q Qu'est-ce que vous avez appris?

R Que les relations avec les partenaires doivent être gérées avec beaucoup de délicatesse. On a l'impression que si on s'occupe des clients et des employés, on fait essentiellement tout ce qui est important, mais en croissance comme en décroissance, il faut s'occuper des fournisseurs. Il faut s'occuper des prêteurs et des investisseurs, qui vont apporter leur contribution en période de croissance.

Quand nous sommes allés voir nos prêteurs au début de l'année 2014 et qu'on leur a fait part de nos projets, il n'y avait pas de surprise parce qu'il y avait un dialogue constant avec eux.

Q Est-ce que la croissance se planifie?

R Une équipe de direction doit toujours être capable de considérer que l'année prochaine va amener des choses inattendues. Il y a 10 ans, dans l'équipe de direction de Canam, on s'est demandé ce qui arriverait si le dollar canadien s'échangeait au pair avec le dollar US, si le prix du baril de pétrole dépassait 100$, si nos concurrents américains débarquaient au Canada. La meilleure façon de préparer la croissance, c'est de se demander, de façon régulière, ce qui va se passer s'il faut augmenter de 30% notre capacité l'an prochain. Est-ce qu'on est capable? À force de jongler avec les différents défis, quand ils se concrétisent, on est prêt.

Q Comment se préparer?

R Je pense que les investissements en technologie, en automatisation et en productivité doivent se faire quand ça va mal. Ton personnel a du temps, tes machines coûtent un peu moins cher, les conséquences de l'erreur sont moins importantes. Quand ça va bien, tu n'as pas le temps de moderniser. Les périodes de basse demande, de basse production sont souvent celles où on planifie l'automatisation et la modernisation pour survivre aux périodes de croissance. Il faut être capable de penser à contre-cycle.