Le gouvernement du Québec, particulièrement le ministère des Transports (MTQ), travaille à recréer une expertise dans le domaine du génie. Avantages et inconvénients de faire carrière dans la fonction publique québécoise.

Après avoir travaillé en génie-conseil et auprès d'entrepreneurs en construction, Élyse Grondin-De Courval, ingénieure civile, a fait le saut au MTQ en 2002.

«Avec les entrepreneurs, je travaillais souvent 70 heures par semaine, le jour, le soir, la nuit et les fins de semaine, raconte-t-elle. Je me réveillais la nuit parfois en pensant à quelque chose, et je me laissais un message au bureau pour ne pas l'oublier! C'était très stimulant, mais très exigeant. Je pensais aussi fonder une famille, donc je souhaitais avoir une certaine stabilité dans mon horaire.»

Choisie par le MTQ pour expliquer son travail, elle coordonne aujourd'hui le module structure Laval-Mille-Îles. Comme gérante de projets, elle s'occupe aussi de la réfection du pont Pie-IX. Lorsqu'elle est arrivée au MTQ, Élyse Grondin-De Courval s'est fait rapidement confier de plus en plus de responsabilités.

«Lorsqu'on veut faire sa marque et qu'on fait preuve de débrouillardise, on peut y arriver», affirme celle qui travaille 32 heures par semaine en 4 jours depuis qu'elle est revenue de son deuxième congé de maternité.

La grande séduction

Le gouvernement du Québec multiplie les efforts pour attirer ingénieurs et techniciens.

Le MTQ se rend dans les établissements de formation collégiaux et universitaires ainsi que dans les salons de l'emploi pour présenter ses possibilités de carrière.

Le gouvernement de Jean Charest avait annoncé en octobre 2011 l'ajout de 970 équivalents temps complet (ETC) dans un horizon de 5 ans au MTQ, dont 332 ingénieurs et 564 techniciens.

«C'est toujours l'objectif», indique Caroline Larose, porte-parole du MTQ.

«En 2012-2013, nous avions eu l'autorisation d'embaucher 166 ETC et nous en avons embauché 153, dont 52 ingénieurs et 46 techniciens, précise-t-elle. Pour l'année en cours, l'embauche de 200 ETC est autorisée. D'avril à août, nous en avons embauché 168, dont 66 ingénieurs et 52 techniciens. Notre plan d'attraction fonctionne.»

L'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ) est en désaccord.

«En considérant les nombreux départs, le Rapport annuel de gestion du MTQ 2012-2013 précise qu'on a seulement 73 ingénieurs ETC de plus depuis 2011, affirme Michel Gagnon, président de l'APIGQ. On est loin du 332 à atteindre en 5 ans. Encore pire, on a huit techniciens de moins.»

Il s'inquiète aussi du manque d'expérience des ingénieurs recrutés.

«Ce sont des jeunes que je vois arriver. Je n'ai rien contre eux, mais ça prend aussi des ingénieurs d'expérience pour recréer une expertise.»

Des efforts ont pourtant été consentis pour attirer des gens expérimentés.

«Avant, si un ingénieur de huit ans d'expérience participait à un concours qui en exigeait cinq et qu'il obtenait un poste, on lui reconnaissait seulement cinq ans d'expérience, indique Caroline Larose. Depuis 2011, on reconnaît l'expérience réelle.»

Pour sa part, Michel Gagnon ne trouve pas les efforts du gouvernement suffisants.

«D'après les chiffres de 2012 de l'Institut de la statistique du Québec, la rémunération globale des ingénieurs au provincial était d'environ 23% de moins qu'au municipal, d'environ 32% de moins qu'au fédéral et d'environ 40% de moins que dans les organisations publiques comme Hydro-Québec, précise-t-il. Il faut reconnaître le problème des salaires.»

Avantages, inconvénients et préjugés

Élyse Grondin-De Courval a accepté un salaire moins élevé en venant au MTQ.

«Mais lorsque je regarde ce que j'obtiens par heure travaillée, je suis mieux payée maintenant, dit-elle, et j'ai une caisse de retraite.»

Bruno Chouinard, ingénieur civil au Centre d'expertise hydrique du Québec (CEHQ), déplore pour sa part les préjugés de plusieurs par rapport aux travailleurs de la fonction publique.

Un ingénieur d'un organisme gouvernemental, qu'on ne peut identifier parce qu'il n'avait pas demandé l'autorisation de parler à un représentant des médias, confirme cette perception.

«C'est vrai que la qualité de vie est un élément important lorsqu'on travaille au gouvernement, dit-il, mais certains pensent que nous sommes là seulement pour ça, alors que ce n'est pas vrai. Nous voulons aussi un travail stimulant, et les défis sont là.»

C'est aussi la motivation de Bruno Chouinard qui, après avoir travaillé en génie-conseil, a opté pour le CEHQ parce que la matière liée aux barrages était sa préférée pendant son baccalauréat. Comme chef de division d'une équipe d'une dizaine d'ingénieurs, il gère l'évaluation de la sécurité des barrages publics.

À ses yeux, l'un des avantages de son travail est qu'il lui donne facilement accès à l'expertise de collègues de différentes disciplines.

«J'aime travailler en collaboration, confie-t-il. Aussi, depuis mon arrivée en 2000, nous sommes passés de 144 ETC à 212. Nous avons vraiment développé une expertise aujourd'hui reconnue, il est donc motivant de rester ici. Aussi, j'ai pu évoluer dans mes fonctions et je vois encore beaucoup d'occasions.»

LES INGÉNIEURS DU GOUVERNEMENT EN CHIFFRES

Effectif total: près de 1370

Hommes: 72%

Femmes: 28%

Au MTQ: 55%

Au MDDEFP: 20%

À la CSST: 10%

En génie civil: 38%

En génie mécanique: 9%

En génie géologique: 8%

En génie électrique: 7%

Source: APIGQ