Depuis que l'on sait qu'il existe des milliers de formes génétiques de cancers, les pharmaceutiques ont modifié leur approche pour les traiter. Au lieu de concevoir un seul médicament contre toutes ces maladies, on cherche maintenant à attaquer chaque forme de cancer avec le traitement spécifique qui le fait reculer. On parle de médecine personnalisée ou de médecine de précision.

En février 2013 naissait la première grande initiative de médecine de précision au Québec, le Partenariat pour la médecine personnalisée en cancer. Le but est de prouver le bénéfice de certains nouveaux médicaments pour des sous-groupes de patients cancéreux. On élaborera d'abord des tests pour profiler des variantes précises de cancers chez des malades, puis on tentera de coupler ces sous-groupes de cancéreux au médicament le plus efficace et le moins toxique pour eux.

Québec investit 10 millions de dollars dans cette initiative. Le secteur privé y place 11 millions. Les entreprises participantes sont les pharmaceutiques Pfizer, Sanofi-Aventis, Oncozyme ainsi que la biotech montréalaise Caprion et Télus Santé.

Avancer sur sept fronts

Selon Martin Leblanc, président de Caprion, on vise d'abord à coupler sept types de cancers à leurs médicaments idéaux. «Prenons d'abord les cancers du poumon, décrit-il. Quand on découvre des nodules pulmonaires, généralement par radiographie, on fait un prélèvement pour voir si c'est cancéreux. C'est déplaisant pour le patient, c'est invasif et c'est coûteux pour le système de soins. Sans compter que dans 60% des cas, on découvre que le nodule est parfaitement bénin.»

Le Partenariat veut remplacer le prélèvement par une prise de sang qui renseignera sur le profil génétique précis des nodules et indiquera le médicament à prescrire si besoin est. «Nous projetons de développer six autres tests du genre dans le cadre du Partenariat», ajoute M. Leblanc.

La médecine de précision a déjà fait ses preuves, par exemple dans le cas des cancers du poumon dits «non à petites cellules», particulièrement difficiles à soigner. «Grâce à un test de médecine personnalisée, on identifie les 3% de patients qui portent une certaine mutation génétique nommée ALK, explique le docteur Gerald Batist, directeur du Centre du cancer Segal à l'Hôpital général juif de Montréal. À ceux-là on donne de la Crizotinib. Figurez-vous que depuis cinq ans, on a un taux de réponse positive de 80% chez ces gens-là!»

Leader mondial

Selon Mme Michèle Houpert, directrice, santé et biotechnologies, au ministère des Finances du Québec, on se donne quatre ans pour élaborer les sept tests et prouver que le choix du médicament est effectivement le bon.

«Si on y arrive, le Québec se positionnera comme leader mondial dans cette nouvelle approche thérapeutique, soutient-elle. Le message qu'on enverra au monde est que nous sommes le meilleur endroit possible pour tester un médicament dans l'approche personnalisée. Nous croyons attirer beaucoup de nouveaux investissements pharmaceutiques de cette façon.»

«Pour les pharmaceutiques, ajoute le docteur Batist, il y a là une façon exceptionnelle de diminuer le temps et le coût des tests sur les patients. On ne teste que le sous-groupe le plus prometteur. Et en testant au Québec, on fait affaire avec un payeur unique et un gestionnaire unique des hôpitaux où se font les tests. Beaucoup moins de casse-têtes administratifs.»

Des économies pour le système de santé

On connaît à ce jour 200 syndromes d'épilepsie. On comprend qu'au moment de prescrire un médicament, le praticien y perde son latin et qu'il procède par essais et erreurs. L'échec de ces tentatives, en plus d'être pénible pour le patient, est coûteux pour le système de santé. Mais si on dispose de tests permettant d'identifier chaque syndrome et qu'on connaît les médicaments convenant à ces variantes, on cesse de tourner autour du pot.

«Voilà sans doute le plus spectaculaire bénéfice de la médecine de précision pour le système de santé: le payeur étatique ne paie que ce qui marche», souligne David Levine, président du conseil du Regroupement en soins de santé personnalisés du Québec.

«La structure du traitement va changer, c'est sûr, affirme pour sa part Gerald Batist, directeur du Centre du cancer Segal à l'Hôpital général juif de Montréal. Avant de faire une ordonnance, le clinicien va envoyer le patient chez le pathologiste, qui va faire les tests de triage génétique. Le médecin saura alors à quelle variante il a affaire et agira en conséquence. Au Québec, on est actuellement à mettre en place cette nouvelle façon de faire.»

Médecine de précision: l'avenir des pharmaceutiques

La médecine personnalisée ou médecine de précision réduira de 15% le temps de développement des médicaments, estime Mauricio Ede, directeur médical, Merck Canada.

«On va éliminer la phase d'essais et d'erreurs au moment de tester un médicament expérimental chez l'humain, indique-t-il. Avec un simple test sanguin, on va identifier les patients qui portent la variante génétique précise de la maladie pour laquelle le médicament a été conçu.» Économie de temps et, donc, économie d'argent pour les pharmas.

M. Ede croit aussi que certains médicaments expérimentaux qui avaient échoué à prouver leur efficacité chez de vastes groupes d'humains pourraient avoir une seconde chance.

«Sur les 3000 malades qui ont reçu la molécule expérimentale, disons que seulement 45 ont réagi très positivement. Si on comprend qu'ils forment un sous-groupe génétiquement apparenté et qu'on a un test génétique sanguin pour identifier les membres de ce sous-groupe, on peut tester à nouveau la molécule, mais sur une cohorte formée uniquement de membres du sous-groupe en question. Les chances de succès sont bien meilleures.»

Avec un taux de réponses positives bien plus élevé, les chances de la pharma de convaincre les autorités réglementaires d'approuver le médicament sont également bien meilleures.