Bien qu'il n'y ait pas de chiffre absolu, les intervenants du milieu de la traduction estiment que la majorité des traducteurs québécois seraient des travailleurs indépendants. Avec la concurrence grandissante de certaines agences internationales qui vendent leurs services à bas prix et des clients toujours plus pressés, les pigistes doivent être prudents pour faire rimer qualité et efficacité.

Une prudence parfois difficile à conserver, alors que bon nombre de traducteurs sont payés pour chaque mot traduit. « On n'est pas payé pour notre temps investi, mais pour notre production, résume Anne Rulkin, directrice du Carrefour des langagiers entrepreneurs. Certains aiment cette situation, d'autres disent qu'on est des professionnels qui devraient être payés à l'heure. Moi, je dis que c'est à chacun d'évaluer combien de mots il traduit par heure et quel salaire horaire il veut, et d'ajuster en conséquence. »

GESTION DU TEMPS

Les pigistes doivent donc apprendre à gérer leur temps. « Il ne faut jamais prendre trop de projets, et on doit examiner un mandat avant de donner notre délai au client, souligne la traductrice Jane Gatensby. Certains longs textes peuvent se traduire vite si le vocabulaire est général et qu'il y a peu de recherches. D'autres, plus techniques, exigent un travail plus poussé. »

Par ailleurs, les pigistes sont régulièrement confrontés à des blitz de contrats qui peuvent donner le vertige. « Quand une agence nous envoie 2000 mots à traduire le matin, on doit rendre le tout en fin de journée, illustre Mme Rulkin. Les délais sont serrés. Il faut être très organisé pour ne rien échapper et respecter les délais. »

Il existe heureusement des solutions pour gagner du temps : de bons outils de recherche et des logiciels de traduction assistée par ordinateur. Ces derniers archivent des traductions précédentes, divisent un texte en segments et suggèrent une phrase déjà traduite en la repérant dans le système.

DÉVELOPPEMENT D'AFFAIRES

Néanmoins, les traducteurs indépendants doivent tous investir de leur temps personnel pour construire leur clientèle. « Pour bâtir mon nom, j'ai envoyé énormément de courriels et participé à plusieurs rencontres d'affaires ou de 5 à 7, explique Mme Gatensby. Heureusement, je me suis aussi fait beaucoup de contacts en remplaçant dans quelques compagnies. Mes stages m'ont aussi ouvert des portes. »

Faisant partie des spécialistes de la traduction du français vers l'anglais, très demandés au Québec, elle se dit tout de même surprise de faire autant d'argent depuis l'obtention de son diplôme, en 2015. « Quand on travaille pour de bonnes agences de traduction ou des clients directs, soit des entreprises établies qui cherchent la qualité et qui sont prêtes à payer, on peut bien vivre comme pigiste, dit-elle. Mais il faut aller vers les opportunités et ne pas attendre que les contrats viennent à nous. »

« J'ai l'impression que les jeunes traducteurs reçoivent une excellente formation, mais qu'ils sont de mauvais gestionnaires. Souvent, ils ne savent pas trouver des clients et ne connaissent rien à la vie de travailleur autonome. Ils doivent absolument apprendre à réseauter. » 

- Anne Rulkin

Ils doivent aussi apprendre à travailler en mode coopératif sur certains mandats très volumineux. « On essaie de s'entourer de collègues avec la même expertise que nous, ou supérieure, explique Anne Rulkin. Il y a toujours un leader du projet, qui va chercher le client, qui rassemble les traducteurs et qui met en place la structure. »

Vient alors un défi d'homogénéité entre les parties traduites par divers pigistes. « On établit des normes de base, mais le dernier traducteur doit faire un travail de révision pour s'assurer de la cohérence, ajoute-t-elle. Comme il est au bout de la chaîne de traduction, ses délais sont extrêmement serrés. »

De là l'importance de bien choisir ses partenaires. « Il faut partager le travail avec des traducteurs en qui on a confiance, affirme Jane Gatensby. Dans le milieu, si la qualité laisse à désirer, on court de grands risques pour notre réputation. Il vaut mieux voir à long terme et offrir de la qualité que de tourner les coins ronds pour en faire plus. »