Depuis sa création, en 2004, le Programme de perfectionnement en ingénierie des diplômés en génie de l'étranger à Polytechique Montréal accueille bon an mal an une centaine de candidats. L'objectif : les aider à réussir des examens de contrôle technique prescrits par l'Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) pour décrocher leur titre d'ingénieur junior. La cohorte 2015 a toutefois connu une chute spectaculaire des inscriptions :  15 ingénieurs étrangers y ont été admis.

« C'est vraiment énorme », soupire Jean-Nicolas Rioux, coordonnateur du programme.

La raison ? Les étudiants ne reçoivent plus de financement de la part de la Direction régionale d'Emploi-Québec de l'Île-de-Montréal, qui payait les frais de l'évaluation de leur dossier par l'OIQ (879,56 $, taxes incluses) et les frais d'examen (310,43 $, taxes incluses, par examen).

Les ingénieurs étrangers qui écopent de cette décision proviennent de pays avec lesquels l'OIQ n'a pas d'entente de reconnaissance mutuelle - et qui, pour se qualifier, doivent passer un certain nombre de tests, qui varie en fonction de leur formation initiale. La plupart viennent du Maghreb et de l'Amérique latine.

À qui la faute ? Personne ne s'entend. Du côté d'Emploi-Québec, on met l'Ordre en cause. 

« L'OIQ avait demandé qu'au terme de l'entente finissant le 1er juillet 2014, Emploi-Québec de l'Île-de-Montréal cesse de leur payer directement les frais d'évaluation des ingénieurs et que l'on respecte le processus de demande en ligne qu'ils avaient instauré. » - David McKeown, conseiller en communication d'Emploi-Québec

Le financement est maintenant « assumé par le client à l'instar de tous les autres immigrants qui ont une démarche à faire avec un ordre professionnel », ajoute-t-il.

« Emploi-Québec nous a en effet indiqué que la procédure en ligne posait une contrainte technique », confirme Yann Hairaud, directeur général de l'organisme Clef pour l'intégration au travail des immigrants (CITIM), qui assure l'intégration socioprofessionnelle des ingénieurs étrangers participant au programme.

« Le paiement des frais fait partie de la demande en ligne et tant que le candidat ne paie pas, son dossier n'est pas déposé, poursuit-il. Auparavant, tout se faisait au comptoir et Emploi-Québec versait à l'Ordre la somme requise pour chaque participant. »

À l'OIQ, on nous indique que la décision n'émane pas d'eux. Le processus de demande en ligne n'a jamais été un problème. La preuve : l'Ordre reçoit encore des dossiers papier avec chèques pour les candidats de la région de Québec qui participent au programme du Comité d'adaptation de la main-d'oeuvre pour les personnes immigrantes (CAMO-PI) géré par le Centre R.I.R.E. 2000.

Yann Hairaud affirme que les véritables raisons n'ont rien de technique. « Nous avons proposé différentes solutions à Emploi-Québec, notamment la possibilité d'un remboursement différé aux participants, mais rien n'y a fait, rapporte-t-il. Emploi-Québec a évoqué des soucis d'équité envers les autres ordres professionnels dont les candidats étrangers ne profitent pas du même traitement. Mais derrière des portes closes, on nous a dit qu'avec le contexte de rigueur budgétaire, il était difficile de maintenir de telles mesures d'exception. »

UNE DÉCISION QUI FAIT MAL

Le directeur général du CITIM s'explique mal la logique d'Emploi-Québec. « Le programme a permis d'augmenter à 87 % le taux de réussite des examens de contrôle, assure Yann Hairaud. Les montants en jeu ne sont pas astronomiques, mais ils sont significatifs pour les nouveaux immigrants. On rencontre des gens qui sont intéressés a priori par le programme, mais n'ont pas les ressources pour y accéder désormais. Ils préfèrent intégrer le marché du travail, quitte à trouver un emploi dans une autre branche. C'est un gâchis de compétences. »

Cela dit, Emploi-Québec de l'Île-de-Montréal soutient toujours financièrement certains ingénieurs étrangers inscrits au programme de perfectionnement de Polytechnique, soit ceux qui ont seulement un ou deux examens de contrôle demandés par l'Ordre. Ils font partie du « programme court », en quelque sorte la voie rapide du programme de perfectionnement. Les étudiants devant passer trois ou quatre examens doivent plutôt faire un certificat. Ce sont eux qui ne sont plus remboursés par Emploi-Québec. « Évidemment, le peu d'étudiants qui nous restent sont pour la plupart dans le programme court », observe Jean-Nicolas Rioux.

Pour le moment, il n'est pas question d'abolir le programme. Polytechnique et le CITIM sont en discussion avec des organismes de microcrédit pour aider les participants.