Alors que l'Ordre des ingénieurs du Québec oblige ses membres à accumuler un minimum de 30 heures de formation continue sur deux ans, aucun cours portant sur l'intégrité n'est obligatoire. Luc Godin est vice-président d'Optima Management, une firme qui offre ce type de formation. Quand l'intégrité est enseignée. 

De l'intégrité de l'ingénieur

«Essentiellement, les ingénieurs suivent des formations continues sur l'éthique pour savoir comment ils doivent agir pour se protéger s'il constate que leurs patrons posent des actions douteuses sur le plan de l'intégrité. Que faire pour ne pas passer dans le tordeur ?», résume Luc Godin.

Dans sa formation, Luc Godin retourne à la notion même d'intégrité, «pierre angulaire de la bonne gouvernance». Celle-ci s'articule autour de trois concepts interdépendants : la morale qui permet de distinguer le bien du mal, la déontologie qui encadre la profession et finalement, l'éthique qui relève des valeurs et des principes d'action.

Il n'est jamais payant de déroger du code d'éthique, rappelle Luc Godin, reprenant les propos de John Welch, ex-PDG emblématique de General Electric : «Rien, ni le service après-vente, ni la compétitivité, ni les instructions de votre hiérarchie, ni le chiffre d'affaires ne sont plus importants que l'intégrité.»

Coincé entre l'arbre et l'écorce

Luc Godin admet qu'il n'est pas toujours évident pour un ingénieur de naviguer entre les intérêts corporatifs et ses considérations éthiques. Si on ne mord pas la main qui nous nourrit, un ingénieur ne doit pas pour autant sacrifier son intégrité sur l'autel de la productivité et de la rentabilité.

Le consultant explique que les professionnels sont à la fois coincés entre les cibles de performance qu'établissent les firmes et leur professionnalisme. Lorsque trop élevées, ces cibles de performance deviennent contre-productives ; elles engendrent des comportements qui dérogent des standards éthiques.

«C'est alors que les gens prennent des raccourcis, chargent des taux un petit peu plus élevés. D'autres vont carrément faire fi de leur code de déontologie et des considérations éthiques pour être plus performants», dit-il.

Une formation qui n'est pas prisée

La réputation des ingénieurs a été malmenée par les cas de corruption et de collusion révélés au cours des dernières années. Une triste réalité qui ne s'est pourtant pas traduite par une hausse de la fréquentation des formations portant sur l'intégrité, admet avec surprise Luc Godin.

Et cette réalité a un coût. Entre 2009 et 2014, le nombre d'enquêtes de toutes sortes ouvertes au Bureau du syndic de l'Ordre des ingénieurs du Québec a augmenté de plus de 500%. Des près de 800 enquêtes actuellement en cours, environ 300 dossiers portent sur des affaires de contributions politiques illégales et 180 sont liés à la collusion ou la corruption. En cinq ans, l'équipe d'enquête du syndic est passée de 15 à 37 employés et son budget a augmenté de plus de 320%, passant de 1,4 million à 4,5 millions.

«Dans la foulée de la commission Charbonneau, les problèmes de grandes firmes comme Roche ou SNC-Lavalin ou les histoires de falsifications d'états financiers par des dirigeants de Nortel au tournant du siècle, nous nous attendions à une hausse de la demande», dit Luc Godin.

Apprendre à dénoncer

«Dans mon cours d'éthique, je montre la bonne façon d'exécuter une délation», dit Luc Godin, indiquant qu'une action aussi délicate doit être préparée.

Tout d'abord, l'ingénieur doit conserver les écrits qui peuvent appuyer la situation dénoncée : courriels, fax, appels téléphoniques. Une fois les preuves accumulées, il est conseillé de s'adresser à ses supérieurs... si ces derniers ne sont pas impliqués, évidemment.

«Sinon, le professionnel peut se rendre directement à son syndic qui sera en mesure de le conseiller sur les actions à poser. Doit-on contacter la police, par exemple ? Qu'est-ce qui relève du criminel et du manquement professionnel ?», dit-il.

Luc Godin soutient que la délation doit être envisagée lorsqu'une situation perdure. «On n'entame pas de telles démarches pour un vol à la photocopieuse. Évidemment, il ne faut pas hésiter lorsqu'il s'agit de cas de corruption et de collusion. Un professionnel qui ne dénonce pas des actes répréhensibles peut être considéré comme un facilitateur.»