Nouvelle présidente à l'Ordre des comptables professionnels agréés, offre plus variée en matière de formation continue, une relève en stage autant en cabinet qu'en entreprise et de jeunes comptables qui parcourent le monde. La Presse Affaires dresse le portrait d'une profession autrefois perçue comme beige et sans saveur.

Assurer la crédibilité et la pérennité de la profession

En février dernier, l'Ordre des comptables professionnels agréés (CPA) du Québec a accueilli une nouvelle présidente et chef de la direction : Geneviève Mottard, une dynamique quarantenaire qui voit grand pour sa profession. La Presse Affaires s'est entretenue avec elle.

Quelles sont vos priorités en ce début de mandat ?

La protection du public, d'abord et avant tout. C'est la raison d'être d'un ordre. Cela signifie que nous exerçons la surveillance de nos membres et veillons à leur donner la formation nécessaire afin qu'ils puissent pratiquer leur profession selon les plus hauts standards.

Je souhaite aussi faire rayonner la profession comptable. Je pense que l'unification des ordres [les ordres des CA, CGA et CMA ont fusionné en 2012] y contribue, car nous parlons désormais d'une seule voix. Cela dit, je pense que la profession a perdu un peu de sa crédibilité après le scandale d'Enron et l'effondrement du cabinet Arthur Andersen en 2001, puis la crise financière de 2008.

Comment lui redonner du lustre ?

J'aimerais que l'Ordre devienne un organisme qu'on sollicite pour commenter toutes sortes d'enjeux, qu'ils soient sociaux, économiques ou financiers. Nous le faisons de plus en plus. Dans le cadre des consultations prébudgétaires, nous avons déposé un mémoire au ministre Carlos Leitao. Nous travaillons avec l'Office des professions sur plusieurs projets de loi, notamment le projet de loi 87 visant à protéger les lanceurs d'alerte. Dernièrement, nous avons conclu une entente avec l'Association des bibliothèques publiques du Québec pour que nos bénévoles puissent donner des ateliers ouverts à tous sur la littératie financière.

Vous le dites, la réputation des comptables a souffert dans les dernières années. Elle a aussi été malmenée récemment par l'affaire KPMG et les Panama Papers, des scandales qui ont une fois de plus mis en lumière l'immense problème de l'évasion fiscale. L'Ordre compte-t-il intervenir dans ce dossier ?

C'est un enjeu complexe et multidisciplinaire, à la fois politique, juridique et financier. Il ne concerne pas seulement le Québec, comme l'ont démontré les Panama Papers. Dans ce contexte, l'Ordre est un joueur parmi d'autres qui peut essayer de faire avancer ce dossier aux ramifications internationales. Nous soutenons sans réserve toutes les initiatives entreprises pour endiguer ce problème. Nous avons collaboré au groupe de travail BEPS mis sur pied par l'OCDE [le projet OCDE/G20 de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices]. Nous déposerons un mémoire en avance de la commission parlementaire sur les paradis fiscaux. Le document sera rendu public lorsque nous aurons été invités à y participer - ce qui n'a pas encore été fait.

Sensibilisez-vous vos membres à cette question ?

Nos membres suivent toutes sortes de formations portant sur notre code de déontologie et les questions éthiques. Nous devons nous assurer qu'ils travaillent dans le cadre de la loi. Si ce n'est pas le cas, c'est un débat qui devient disciplinaire et nous avons des mécanismes internes pour enquêter sur nos membres.

La profession fait face à de nombreux défis. Y en a-t-il d'autres ?

Oui. La pérennité de la profession en est un. Les CPA doivent dorénavant composer avec des normes comptables internationales. En même temps, l'évolution technologique nous frappe de plein fouet. Les clients sont mondiaux et les sociétés gèrent des quantités de données inouïes. Le comptable a toujours un rôle à jouer dans cette nouvelle réalité, mais encore faut-il l'outiller en conséquence.

Ensuite, pour assurer notre pérennité, il faut avoir une relève suffisante et adéquate. Nous travaillons étroitement avec les universités et même les écoles secondaires pour encourager les jeunes à rejoindre la profession. Notre défi est de leur montrer qu'être CPA, ce n'est pas juste être un comptable. C'est être aussi un leader d'affaires qui connaît tous les rouages de son organisation.

QUI EST GENEVIÈVE MOTTARD ?

ÂGE : 41 ans

ÉTUDES : diplômée en comptabilité de l'Université Concordia et du Programme de leadership de l'Université Queens

PRÉSIDENTE ET CHEF DE LA DIRECTION DE L'ORDRE DES CPA DEPUIS : le 22 février 2016

NOMBRE DE MEMBRES : 38 000

AVANT DE DIRIGER L'ORDRE DES CPA : elle était directrice régionale de l'est du Canada au Conseil canadien sur la reddition de comptes.

FORMATION CONTINUE OBLIGATOIRE, MAIS VARIÉE

L'Ordre des CPA exige 120 heures de formation continue tous les trois ans à ses membres. L'organisation offre d'ailleurs plus de 700 activités de formation chaque année. Au menu, des mises à jour sur les grands domaines comptables, comme la certification, la fiscalité, la gouvernance, la stratégie et la finance. L'ordre développe aussi de nouvelles activités selon les besoins. Voici cinq exemples.

GOUVERNANCE

Un webinaire sur la gouvernance de projets a été conçu par Yvan Petit, professeur à l'École des sciences de la gestion (ESG) de l'UQAM et formateur au Project Management Institute (PMI) Montréal. Il vient de terminer sa thèse de doctorat sur la gestion de projet dans des environnements dynamiques. Il présentera dans ce webinaire les résultats des plus récentes publications dans l'ensemble des principes, des structures et des processus pour superviser et soutenir des projets dans les organisations. Cette activité de formation est offerte par le Centre de perfectionnement de l'ESG l'UQAM en collaboration avec la Chaire de gestion de projet et du Project Management Institute.

FINANCES

La nouvelle formation Rationalité financière : savoir la maîtriser pour prendre des décisions créatrices de valeur sera donnée en février à HEC Montréal. Elle aborde les concepts et les instruments financiers utilisés par les entreprises. Le grand objectif de la formation est d'amener ses participants à éviter de faire du tort à l'entreprise en croyant pourtant contribuer à la création de valeur. La formation s'étend sur deux jours. Elle est donnée par Dominique Jacquet, professeur affilié à HEC Montréal, expert en stratégie financière et responsable du Département économie et finance à l'École des Ponts ParisTech, en France.

ÉVALUATION D'ENTREPRISES

Un certificat non crédité sera offert en évaluation d'entreprises dès l'automne à l'École d'éducation permanente de l'Université McGill en collaboration avec l'Institut canadien des experts en évaluation d'entreprises. Le programme de sept cours permet de se préparer à l'examen pour obtenir le titre d'expert en évaluation d'entreprise (EEE). Le programme s'adresse à des professionnels actifs dans des dossiers de fusion et d'acquisition, de litige et de négociations avec les autorités fiscales notamment. Le premier cours offert à l'automne nécessitera 35 heures de présence en classe et environ 30 heures de lecture et de travaux.

PROCESSUS BUDGÉTAIRE

Une nouvelle formation sur le processus budgétaire sera offerte par l'Ordre des CPA. Elle abordera les principales notions de budgétisation, les étapes du processus et les différentes méthodes pour budgétiser afin de bien gérer les opérations et prendre de meilleures décisions stratégiques et opérationnelles. « Il y a une forte pression dans les organisations pour optimiser les processus budgétaires, alors cette formation fera le tour des meilleures pratiques et des pratiques émergentes », explique Daniel Benard, vice-président, développement professionnel, à l'Ordre des CPA. Cette formation d'une journée s'adresse aux CPA en entreprise et en cabinet. L'offre de formation de l'Ordre pour l'année 2016-2017 sera accessible en juin.

DÉVELOPPEMENT DURABLE 

Stratégie et rentabilité du développement durable : cette nouvelle formation sera offerte dès l'automne à Montréal et à Québec par l'Université Laval. La formation comprend cinq modules : Développement durable et rentabilité, Diagnostic stratégique en développement durable, Analyse stratégique des coûts et des investissements durables, Stratégie et performance durable, ainsi que Communication stratégique de la performance durable. Chaque module s'étend sur une journée et donne accès à des unités de formation continue. Les cours sont donnés par Marc Journeault, professeur agrégé à l'École de comptabilité de la Faculté des sciences de l'administration de l'Université Laval.

LES CABINETS COMPTABLES ONT TOUJOURS LA COTE AUPRÈS DES STAGIAIRES

Faire son stage en cabinet ou en entreprise ? Les futurs comptables professionnels agréés (CPA) ont désormais l'embarras du choix. Le nouveau programme de formation professionnelle leur permet de faire leurs 24 mois de stage rémunéré dans l'une ou l'autre de ces organisations. À une exception près : les étudiants qui veulent passer leur permis en comptabilité publique pour devenir CPA auditeur doivent faire leurs classes dans un cabinet. 

Pendant un temps, la situation a fait craindre le pire aux firmes comptables, qui anticipaient une baisse dans leur recrutement au profit des entreprises. Finalement, il n'en est rien. « Nous n'avons pas moins de stagiaires qu'avant », indique Manon Durivage, associée chez BDO Canada et membre du conseil d'administration de CPA Canada.

Les chiffres de l'Ordre des CPA du Québec le confirment : au 31 mars 2016, 65 % des candidats ont déclaré un stage en cabinet et environ 35 % ont trouvé un stage en entreprise, dans le secteur public ou dans un cabinet non préapprouvé par l'Ordre.

Selon Hélène Racine, vice-présidente, accès à la profession à l'Ordre des CPA, les firmes ont toujours eu la faveur des étudiants. « Pour 75 à 80 % des candidats, les cabinets restent leur première porte d'entrée, dit-elle. Leur offre de stages est attirante et elle le reste encore aujourd'hui. Les étudiants savent qu'ils y seront bien encadrés, et c'est rassurant pour eux. »

UNE OFFRE DE STAGES ÉLARGIE

N'empêche, les cabinets comptables refusent de s'asseoir sur leurs lauriers. Certains ont créé d'autres programmes de stage pour plaire aux étudiants qui n'aspirent pas à faire de l'audit. On y trouve dorénavant des stages en services-conseils, en évaluation d'entreprises, en fiscalité, en gestion des risques et en restructuration.

« C'est une bonne stratégie pour tous les cabinets, mais particulièrement pour les plus petits, qui avaient du mal à recruter des futurs CPA parce qu'ils n'offraient pas assez d'heures d'audit. »

- Manon Durivage, associée chez BDO Canada et membre du C.A. de CPA Canada

Manon Durivage rappelle que les étudiants constituent la principale source de recrutement des cabinets comptables. « Nos besoins sont grands, d'autant plus que notre taux de roulement est assez important, affirme-t-elle. Dans tous les cabinets, il est commun de voir des recrues partir trois à cinq ans après leur embauche. Avec nous, ils ont l'occasion de travailler pour plusieurs clients et d'explorer ainsi différents secteurs d'activité. »

L'Ordre des CPA estime qu'environ 25 % de ses membres font carrière en cabinet. Les autres travaillent en entreprise et dans le secteur public.

MISE EN VALEUR DES ENTREPRISES

De l'aveu même d'Hélène Racine et de Manon Durivage, il est encore un peu tôt pour tirer un portrait juste des tendances en matière de stage. Après tout, la majorité de la première cohorte est toujours en stage, et les tout premiers CPA pur jus se comptent sur les doigts d'une main.

Manon Durivage reste toutefois prudente. « Au fil des années, les entreprises risquent de solidifier leur offre de stages et de devenir des employeurs de plus en plus intéressants aux yeux des étudiants. »

Déjà, les entreprises se font plus présentes dans les campus. L'Ordre a aussi créé un cocktail de recrutement pour les entreprises et le secteur public. La deuxième édition, tenue à Montréal en février dernier, a attiré plus de 400 étudiants. La ville de Québec a eu aussi droit à son premier événement du genre. Une centaine d'étudiants s'y sont présentés. De leur côté, les cabinets ont leur cocktail de recrutement depuis plusieurs années.

« Nous faisons des efforts pour faire connaître le cheminement en entreprise, qui est tout aussi valable pour devenir CPA, signale Hélène Racine. Cela dit, notre priorité est de former de bons CPA - qu'ils aillent en cabinet ou en entreprise. »