Quel est le plus grand obstacle à l’innovation ? C’est le confort ! C’est du moins l’avis de François Gingras, vice-président d’Investissement Québec-CRIQ, qui accompagne les entreprises en matière d’innovation industrielle. Survol.

« Plusieurs entrepreneurs sont dans leur zone de confort, les profits sont au rendez-vous, alors ils se demandent pourquoi innover, remarque-t-il. Mais c’est dangereux d’attendre que ça aille mal avant d’innover. Il faut continuer à mener de front ses activités quotidiennes en même temps qu’on réalise un projet d’innovation, alors c’est exigeant et il faut du temps avant de voir des résultats. »

Patrick Selmay, cofondateur de Mobican, une entreprise de meubles de Saint-Jean-sur-Richelieu, a réalisé rapidement qu’il ne pouvait pas s’asseoir sur ses acquis.

Depuis 20 ans, l’industrie a beaucoup changé avec la concurrence asiatique et il faut être en mode amélioration continue. Depuis 10 ans, il faut aller encore plus rapidement et toujours se dépasser si on veut maintenir ses parts de marché.

Patrick Selmay, cofondateur de Mobican

Par exemple, il y a sept ans, il a commandé à un fabricant européen spécialisé dans le domaine du meuble une machine pour réaliser deux opérations : la préparation des panneaux et l’application de la bande de chant (le rebord). « C’est quelque chose que nous avons développé ensemble et il y avait de grands défis technologiques à surmonter, explique-t-il. Ça a pris presque trois ans de travail avant que ça fonctionne parfaitement. Nous et le fabricant avons dû être persévérants, mais une fois que ça a été terminé, nous étions vraiment contents. »

Comme pratiquement tous les meubles fabriqués chez Mobican passent par cette machine, le gain d’efficacité est considérable dans cette PME d’environ 50 employés. « Cela permet d’économiser environ 30 heures de travail par semaine, ce qui est majeur dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, précise Patrick Selmay. Nous sommes plus concurrentiels au niveau des coûts et nous avons aussi une plus grande capacité de production. »

Mobican, qui vend ses meubles au Canada et aux États-Unis, innove aussi avec ses produits. Récemment, l’entreprise a intégré des chargeurs pour les appareils mobiles et de l’éclairage dans ses meubles de chambre à coucher.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Mathieu Selmay, Nicolas Selmay, Bruno Selmay et Patrick Selmay

« J’ai la chance que mes deux gars, Mathieu, un ingénieur civil qui s’intéresse beaucoup au design, et Nicolas, un ingénieur mécanique qui s’intéresse plus à la production et aux équipements, m’aident énormément à soutenir l’innovation, indique Patrick Selmay, qui a fondé l’entreprise avec son père en 1988. Nous accueillons aussi souvent des stagiaires en génie ou en technique de génie. L’innovation fait partie de notre ADN. Nous déménagerons d’ailleurs dans une usine plus grande à la fin de 2024 pour pouvoir pousser encore plus loin l’innovation au niveau des équipements et des procédés. »

L’importance du premier projet

Avoir un premier projet d’innovation à succès est un élément clé dans le parcours d’une entreprise.

« C’est ce qui donne généralement envie à un entrepreneur et à son équipe de continuer à développer des projets innovants », remarque François Gingras.

Même son de cloche du côté de Pascal Monette, président-directeur général de l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec (ADRIQ).

C’est certain que d’abord, pour qu’une entreprise innove, il faut que la tête dirigeante y accorde de l’importance. Mais c’est vrai que les entreprises viennent nous voir d’abord généralement pour un enjeu particulier à régler. C’est leur premier pas dans l’innovation.

Pascal Monette, président-directeur général de l’ADRIQ

Prévoir l’innovation

Pour éviter de tomber dans le piège du statu quo, une stratégie est d’affecter des employés à l’innovation.

« Il y a toujours des choses qui arrivent dans une entreprise et il est facile pour les employés de se contenter de travailler sur des projets plus pressants et qui donneront des résultats plus rapides », explique François Gingras.

D’ailleurs, l’innovation, que ce soit à travers la transformation numérique ou le développement de nouveaux produits, devrait toujours faire partie du plan stratégique de l’entreprise. « Il faut que l’outil choisi permette d’atteindre un objectif d’affaires, ajoute-t-il. Pour prendre cette décision, il faut d’abord analyser les besoins. Il ne faut jamais que les grands objectifs de l’entreprise soient déconnectés de son plan technologique. »

« La formation est aussi importante, renchérit Pascal Monette. Souvent, les dirigeants d’une PME connaissent bien leurs produits et leur secteur d’activité, mais ils ne sont pas formés en gestion de l’innovation. Ils peuvent aller chercher de petites formations d’appoint, ou de l’accompagnement. Ainsi, ils pourront développer une vision plus stratégique de l’innovation. Ce n’est pas un projet d’une fin de semaine, mais le développement de toute une culture. »

Quatre autres obstacles à l’innovation

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Gouvernance déficiente

Une entreprise avec une gouvernance déficiente a souvent du mal à développer une culture forte d’innovation, remarque Pascal Monette, PDG de l’ADRIQ. « C’est logique parce qu’un entrepreneur qui a une bonne gouvernance a un comité consultatif, ou un conseil d’administration. Cela signifie qu’il n’est pas seul. Il a des gens qualifiés à qui rendre des comptes et avec qui échanger plusieurs fois par année à propos des objectifs à atteindre et des obstacles rencontrés. Cela l’aide énormément à réfléchir et à avancer. »

Pelleter par en avant

Alors que de nombreux entrepreneurs approchent de la retraite, François Gingras, vice-président d’Investissement Québec, remarque que beaucoup se disent trop vieux pour innover et veulent laisser ça à la prochaine génération. « Mais c’est dangereux, car la concurrence n’arrête pas d’innover. De plus, on sous-estime souvent à quel point les gens expérimentés sont bien placés pour innover. Oui, les jeunes connaissent la technologie, mais le plus important pour bien automatiser un procédé, c’est de bien le connaître. Sinon, on risque d’automatiser quelque chose d’inexact et de se retrouver avec des produits défectueux plus rapidement que jamais ! »

Urgences du quotidien

Les entreprises ont dû composer avec plusieurs urgences dans les dernières années et cela a aussi pu ralentir certains projets d’innovation. « Il y a eu toutes les règles imposées par le gouvernement avec la COVID, puis certaines entreprises ont eu des problèmes de liquidités, des enjeux d’approvisionnement, une explosion de leur demande, énumère Pascal Monette. Les chefs d’entreprises ont eu énormément de choses à gérer dans l’urgence, alors c’est certain que parfois, ils ont dû mettre certains projets innovants sur la glace. »

Pénurie de main-d’œuvre

Si la pénurie de main-d’œuvre a incité beaucoup d’entreprises à accélérer de grands projets d’automatisation et de robotisation, elle en a freiné d’autres. « Déjà que les entreprises avaient énormément de problèmes urgents à gérer dans les dernières années, cela se faisait en situation de grande pénurie de main-d’œuvre, indique Pascal Monette. C’est certain que les entreprises n’ont pas pu tout faire en même temps, et plusieurs projets d’innovation ont été arrêtés pour cette raison. Mais là, on sent qu’ils reprennent. »