Les applications de l’intelligence artificielle se répandent dans le secteur des sciences de la vie, créant des occasions favorables pour les entreprises de toutes les tailles. Et la révolution quantique accélérera encore les possibilités dans ce secteur. Pour en profiter, le Québec devra cependant lever l’obstacle de l’accès aux données de santé.

Les sciences de la vie n’ont pas vraiment été un secteur pionnier en matière d’utilisation de l’intelligence artificielle (IA). Les transports, les services financiers et la vente au détail ont été plus prompts à adopter les algorithmes. « L’accès aux données est relativement facile dans ces domaines », explique Frank Béraud, le PDG de Montréal InVivo, la grappe des sciences de la vie et des technologies de la santé.

Pourtant, l’intérêt est réel de la part du secteur des sciences de la vie.

L’utilisation de l’IA en santé peut vraiment changer la vie des patients, probablement plus qu’améliorer leur expérience de magasinage en ligne.

Frank Béraud, PDG de Montréal InVivo

Mais l’accès aux données de santé est bien plus restreint que celui aux données de magasinage. Et c’est particulièrement vrai au Québec. « Il est difficile d’avoir accès aux données pour entraîner les algorithmes, regrette Frank Béraud. Quand un industriel fait une demande, cela lui prend trois ans pour obtenir satisfaction. Quand il obtient l’accès… il n’en a plus l’utilité. »

Des données comme carburant

Le PDG de Montréal InVivo entrevoit cependant la possibilité d’un contexte plus favorable. L’an passé, le gouvernement Legault a proposé le projet de loi 19 qui vise à décloisonner les données de santé. Les renseignements seraient rendus plus aisément accessibles aux patients, mais aussi aux chercheurs et au privé, avec des verrous de sécurité.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Frank Béraud

S’il va de l’avant, le projet de loi 19 encadrerait et faciliterait les accès aux données de santé anonymisées. Ce serait un carburant important pour l’IA en santé.

Frank Béraud, PDG de Montréal InVivo

L’IA offre des applications étendues dans ce domaine, depuis les outils qui permettent d’accélérer le développement d’un médicament jusqu’aux systèmes d’organisation des soins dans les hôpitaux. L’IA peut s’insérer dans les processus de recherche et de conception, par exemple en facilitant la découverte d’une nouvelle cible thérapeutique, ou la prévision du bon arrimage entre une molécule et sa cible. « Les outils de l’IA prédisent mieux cette liaison, ce qui fait gagner du temps et permet d’obtenir des molécules plus efficaces », illustre Frank Béraud.

Le secteur compte des entreprises de pointe comme Imagia Canexia, une entreprise phare de l’IA en génomique, Alfred Health, qui détecte plus tôt les symptômes de problèmes en santé mentale, ou encore Valence Discovery, qui prédit la combinaison entre une molécule et la cible dans le corps.

Une caméra et l’IA scrutent l’alzheimer

De son côté, Optina Diagnostics utilise l’IA au service de la détection précoce de la maladie d’Alzheimer. Une caméra hyperspectrale capte la lumière réfléchie par la rétine, au rythme de 92 images par seconde. « L’analyse des biomarqueurs, qui indiquent des changements au cerveau, permet de faire un diagnostic plus précoce et plus précis », explique David Lapointe, le PDG d’Optina Diagnostics.

Après huit ans de travaux, cette firme montréalaise de 35 employés en est à la dernière étape de validation en vue de l’adoption réglementaire de sa technologie aux États-Unis. Une validation lui ouvrirait les portes des cliniques de l’œil et des hôpitaux américains. Optina Diagnostics s’attend à une réponse à la fin de l’année 2023. Par la suite, un déploiement au Canada est envisagé.

L’entreprise a développé sa technologie en interne, tout en faisant appel à des partenaires comme le MILA pour certaines parties. « Nous avons eu de bonnes collaborations ici, à Montréal, avec les universités et les centres de transferts technologiques », se félicite David Lapointe.

De grandes entreprises internationales comme Google, Microsoft, Facebook et Novartis ont créé des laboratoires de recherche à Montréal.

Dans la grappe montréalaise, la recherche publique et plus de 600 chercheurs et étudiants à la maîtrise, au doctorat et au postdoctorat en IA constituent aussi un pilier du développement de nombreuses PME.

Les universités passent des ententes de licence avec les chercheurs pour que ceux-ci développent leurs découvertes à travers l’entrepreneuriat. « Le secteur a un historique important de collaboration entre le secteur public et le secteur privé dans les sciences de la vie à Montréal, ce qui est vrai aussi en IA, puisque Montréal dispose d’une masse critique d’experts dans ce domaine, notamment au MILA et à l’IVADO », explique Frank Béraud. Depuis 2016, trois milliards de dollars ont été investis dans l’IA pour le domaine de la santé dans le Grand Montréal.

Cet écosystème pourrait bien profiter de la future révolution qui attend l’IA. « Le couplage entre l’IA et l’informatique quantique aura lieu dans cinq à dix ans, se félicite Frank Béraud. L’informatique quantique appliquée aux algorithmes peut apporter une puissance de calcul phénoménale, et améliorer les temps de calcul lorsque les quantités de données sont énormes. » Les perspectives sont immenses. « C’est même difficile d’entrevoir tout ce que l’informatique quantique va ouvrir comme portes dans dix ans… »