Robert G. Cooper est sans doute le Canadien le plus connu dans le monde en matière d'innovation. Il est le créateur du Stage-Gate Process (Passage d'étapes), une démarche structurée de développement de produits qui permet de gérer toutes les étapes de ce développement, de l'idée à la mise en marché. Ce concept comporte une série de règles qui ne permettent le passage d'une phase à la suivante que si les conditions de ce passage sont respectées.

Ancien professeur à l'Université McGill, M. Cooper a mis sur pied le Product Development Institute par l'entremise duquel il a été conférencier en Europe, en Inde et en Chine. En 30 ans, il dit avoir étudié près de 3000 cas de développement de produits. À 66 ans, l'auteur du guide à succès Winning at New Products a depuis longtemps délaissé l'enseignement, mais il joue encore volontiers les consultants. Nous lui avons parlé depuis sa résidence en Floride, où il vit cinq mois par année.

Q - Comment vous est venue l'idée du Stage-Gate Process?

R - Dans les années 70 et 80, j'étais prof à McGill et je travaillais au Centre d'innovation industrielle à l'École polytechnique. J'ai profité d'un fonds de recherche offert par le gouvernement fédéral pour écrire des histoires de succès en matière d'innovation. J'ai entre autres demandé aux gens de Nortel et de Dupont Canada de m'expliquer les démarches derrière leurs meilleures innovations. Et je me suis rendu compte avec le temps qu'il y avait une sorte de pattern derrière ces succès. Enfant, quand j'allais voir le Canadien jouer, je trouvais que c'était magique, qu'il y avait quelque chose dans sa façon de jouer. Quand je me suis mis à étudier les entreprises, ça a été la même chose. J'ai utilisé le terme Stage-Gate pour la première fois en 1988. C'est par la suite devenu un processus très populaire. Exxon, Procter&Gamble, Carlsberg, Lego, utilisent tous le Stage-Gate.

Q - Cette approche est-elle universelle ou s'applique-t-elle seulement à un type d'entreprise?

R - Toutes les entreprises peuvent l'utiliser, car chaque entreprise la modifie à sa guise. Elle ne doit pas seulement l'ajuster à son produit, mais également à sa culture. Pour sa recherche fondamentale, BASF utilise une version modifiée de la démarche. Que ce soit 3 m, l'industrie militaire américaine ou des géants dans le secteur de l'énergie, ils ont tous utilisé de près ou de loin ma méthode. En fait, je vous dirais qu'aujourd'hui, 80% des entreprises nord-américaines se basent sur le Stage-Gate dans le développement de leurs produits. Le cas d'Apple est toutefois différent. Steve Jobs était quelqu'un d'exceptionnel. J'aime à dire que quand tu as Jésus qui dirige ton entreprise, tu n'as pas besoin de méthode comme le Stage-Gate (rires).

Q - Coûte-t-elle cher à appliquer?

R - Ça dépend combien de consultants on embauche (rires). Il y a beaucoup d'entreprises qui dépensent énormément d'argent dans le développement de logiciels. D'autres qui font plutôt appel à des consultants. J'avance des chiffres comme ça, mais pour ça peut varier entre 50 000$ et 200 000$ selon les besoins.

Q - Pourquoi le Stage-Gate serait-il meilleur qu'une autre approche par exemple, l'innovation ouverte (open innovation) de l'Allemand Frank Piller.

R - Parce que l'innovation ouverte est un tout autre concept. Toutefois, je vous dirais que le Stage-Gate est complémentaire à l'innovation ouverte. Prenons le cas de Procter&Gamble. Près de 50% des nouveautés de P&G vient de l'innovation ouverte. L'entreprise reçoit des commentaires et des suggestions par le truchement de son site web. Elle utilise ces idées pour créer des nouveautés, mais utilise le Stage-Gate dans son processus de développement. Comme autre exemple, prenons le gouvernement canadien. Il utilise le Stage-Gate pour développer, par exemple, des logiciels pour les nouveaux programmes sociaux. Mais dans le cas du registre des armes à feu, ça n'a pas été le cas. Ce registre a été créé à la suite de demandes populaires. Mais il a été un échec, car il n'y a pas eu assez de rigueur dans son élaboration, son développement.

TROIS CONSEILS DE ROBERT G. COOPER

1- Prenez le temps de bien choisir le domaine dans lequel vous voulez innover. Faites vraiment le tour de la question avant d'arrêter votre choix. Certains domaines sont très payants, alors qu'il est pratiquement impossible de percer dans d'autres secteurs. Il faut savoir saisir les bonnes occasions. Il y a tellement d'entreprises qui n'ont pas choisi le bon secteur et qui font du sur-place.

2- Mettez en place une bonne structure pour concrétiser vos idées. On peut, par exemple, avoir une très bonne stratégie, mais de mauvaises tactiques. Or, le Stage-Gate repose sur les tactiques. Bref, il faut adopter une bonne méthode si on veut prendre une idée et en faire quelque chose de tangible.

3- Faites en sorte que le leadership dans le processus de développement de produits vienne d'en haut. Oui, tout le monde dans l'entreprise doit participer au processus, mais ça doit absolument venir de la haute direction et non le contraire. Les dirigeants de l'entreprise doivent se consacrer complètement à l'innovation pour que ça fonctionne. Et la vision d'innovation ne doit pas reposer sur du court terme.