De jeunes ingénieurs sont prêts à quitter la grande ville pour s'installer en région éloignée afin de soutenir les projets d'expansion de leur entreprise. La Presse en a rencontré deux qui ont accepté de partager leur expérience. Portraits.

Les proches de Louis-Philippe Simoneau se demandaient bien ce qu'il pouvait trouver à Timmins, cette petite ville du Nord de l'Ontario où sa femme et lui ont été appelés pour démarrer un nouveau bureau régional de la firme BBA. «C'est le pays de la mouche noire, vous allez être dans un trou dans le fin fond de la forêt!»

Peut-être, mais il a fallu moins de 48 heures au jeune ingénieur de 35 ans pour être convaincu que sa famille et lui se plairaient dans cet endroit d'à peine 45 000 habitants. Ils y ont trouvé tout ce dont ils avaient besoin pour être heureux... les embouteillages en moins!

Louis-Philippe est d'avis que le plus grand défi d'un transfert professionnel est d'ordre familial. Toutefois, il fait remarquer qu'il a eu moins de difficulté à convaincre sa famille de s'installer en Ontario que deux ans plus tôt, alors que son travail les a tous amenés à vivre à Dubaï, aux Émirats arabes unis.

«Le fait qu'on ait vécu pendant un peu plus d'un an quelque chose de relativement éprouvant et d'assez déstabilisant, dans une autre culture, un autre climat et un autre fuseau horaire, ça nous a bien préparé à cette nouvelle étape», reconnaît-il.

Mais pour ses deux adolescentes - il a aussi une autre fille de 3 ans - il est plus difficile de couper le «cordon ombilical» avec le Québec.

«On est loin de notre ancien port d'attache, mais pas si loin que ça non plus. Le fait qu'on soit dans le même pays, qu'il n'y ait pas d'océan qui nous sépare et qu'on puisse retourner dans la région de Montréal assez facilement, ça fait que mes deux plus vieilles restent encore très attachées au Québec.»

Sauf que contrairement aux Émirats arabes unis, la famille Simoneau a mis les pieds à Timmins pour y rester longtemps. En poste depuis la fin août, Louis-Philippe, sa femme ainsi qu'un autre collègue, qui agit à titre de directeur, ont procédé à l'ouverture officielle de leur nouveau bureau en novembre. Pendant près de trois mois, ils ne disposaient d'aucun système de communication et travaillaient à partir de chez eux.»C'est très important de se sentir appuyé par l'entreprise et de ne pas être livré à nous-mêmes. De plus, ma famille est là pour me soutenir et comprendre que des fois, on peut faire beaucoup d'heures supplémentaires. Il faut travailler fort pour développer des contacts. La fibre du développement des affaires, ce n'est pas inné chez tous les ingénieurs!», convient-il, tout en appréciant l'ampleur du défi.

Un gars de la ville sur la Côte-Nord

Marco Freitas connaît bien l'aéroport de Sept-Îles et le vol vers Montréal. C'est que depuis septembre, il fait l'aller-retour toutes les fins de semaine.

«Je suis venu à Sept-Îles pour mon travail, mais ma famille viendra me rejoindre seulement l'été prochain», explique le nouveau directeur d'ingénierie chez Dessau dans la région de la Côte-Nord.

Sa conjointe, enseignante, ne pouvait pas laisser tomber ses élèves à quelques semaines de la rentrée.

«Quand je lui ai parlé du projet et qu'elle m'a dit que ce n'était pas possible pour elle, j'ai tout de suite pensé que c'était mort. Mais c'est ma femme qui a eu l'idée de suggérer à mon employeur de payer mes déplacements pour la première année.»

Tous les soirs après le travail, Marco se connecte sur Skype et communique avec sa famille qui habite toujours le quartier Rosemont, à Montréal. À distance, ils préparent le repas ensemble, soupent en simultané...

«Ça nous permet de garder les liens, parce que c'est sûr qu'on s'ennuie beaucoup. Mais la fin de semaine, on passe un maximum de temps en famille», raconte-t-il.

Le jeune ingénieur de 33 ans connaissait déjà la région pour y avoir passé des vacances avec sa conjointe avant la naissance des enfants, une fille et un garçon d'âge primaire. Mais être de passage dans une ville, ce n'est pas comme y vivre.

«Ma femme et moi, on a toujours eu envie de travailler à l'étranger. Évidemment, Sept-Îles, ce n'est pas l'étranger, mais on voit ça comme une première étape», considère-t-il.

D'ailleurs, Marco a été particulièrement surpris de la diversité culturelle qu'il a trouvée dans sa ville d'adoption. Lui-même d'origine portugaise, il travaille entre autres avec un Burkinabé, un Algérien et un Français.

«Sept-Îles connaît un petit boom économique, avec le Plan Nord et le développement de l'industrie minière. Il y a plein de nouveaux travailleurs et de nouvelles compagnies qui s'implantent», observe-t-il.

Pour le moment, le «néo-Septilien» vit seul dans un quatre et demi, et il a pu magasiner une nouvelle maison l'esprit tranquille.

«Ce qui m'arrange dans le fait que ma famille soit restée à Montréal, c'est que j'ai un an pour préparer la transition, inscrire mes enfants à l'école, trouver un emploi pour ma femme, etc. Je ne suis pas dépassé par le stress parce qu'il faut tout boucler en un mois.»

Cependant, comme dans toute expérience où l'on part seul vers l'inconnu, il lui est arrivé de se sentir nostalgique.

«Les premières semaines, quand je rentrais à mon appartement et qu'il n'y avait pas un bruit, que j'étais tout seul et que je n'avais pas encore de réseau d'amis, il m'arrivait de trouver ça un peu plus long et de me poser des questions. Mais ça s'est vite replacé. Je me suis inscrit à des activités sportives, de même qu'à la Chambre de commerce et à la section régionale de l'Ordre des ingénieurs. Il faut voir du monde et surtout ne pas rester enfermé chez soi.»

Évidemment, il a hâte que sa famille vienne le rejoindre, pour qu'il puisse faire découvrir la mer, la forêt, les montagnes, les sentiers pédestres et les îles Mingan à ses enfants.

S'étant engagé à rester à Sept-Îles pour un minimum de deux ans, Marco croit bien que l'aventure pourrait se poursuivre plus longtemps.

«Ce n'est pas tout les jours qu'on se fait offrir d'être à la tête d'un tout nouveau bureau, surtout quand on est jeune», convient-il.