Quand on entend PME, on comprend petites entreprises. Mais dans PME, il y a aussi moyennes. Quelles sont-elles? Comment le deviennent-elles? Quels sont leurs défis? La Presse présente le dernier sujet d'une série de neuf parutions sur cet univers méconnu.

Sa grand-mère le lui avait prédit alors qu'elle n'avait que 5 ans: Nancy Simoneau serait une femme d'affaires. La prophétie s'est réalisée 20 ans plus tard, quand elle est entrée dans l'entreprise d'entretien de chaudières industrielles fondée par son père.

L'appel des affaires n'était pourtant pas celui de la fortune ou du prestige. Le petit atelier de 2400 pi2 ne comportait qu'un bureau exigu.

Mais la jeune femme avait mis une condition: l'entreprise passerait de la réparation à la fabrication de chaudières. «Je ne voyais pas comment on pouvait créer de la valeur en étant simplement une entreprise de service», dit-elle.

Réal Simoneau s'était fait seul. Sa fille avait fait des études à HEC Montréal. «Pour lui, je ne savais peut-être pas tout, mais presque. Mais ce n'était pas le cas.»

Elle a appris. Elle est passée de la facturation aux achats, puis au contrôle de la qualité, et enfin aux ventes. Quand son père s'absentait pour visiter les chantiers, c'était elle qui devenait «présidente substitut».

Le choc du 11-Septembre

Au printemps 2001, René Simoneau a cédé les rênes à sa fille, tout en demeurant mentor. «On n'avait pas convenu combien de temps il resterait», raconte sa fille. Trois mois plus tard, les tours du World Trade Center s'effondraient. Un choc pour l'homme, qui y a vu le signe de sa propre rupture avec un monde désormais trop complexe. Il a décidé de se retirer définitivement de l'entreprise. «Il m'a dit: je suis sûr que tu vas faire une meilleure job que moi. Si tu réussis tant mieux, si tu ne réussis pas, tu vas rester ma fille et je vais toujours t'aimer.»

Les ventes du secteur de l'entretien, auxquelles son père consacrait ses efforts, baissent de 30%, alors que l'entreprise ne fabrique encore que trois ou quatre chaudières par année.

«J'avais une insécurité épouvantable», relate Mme Simoneau. «J'aurais aimé que mon père puisse rester un conseiller pour moi. J'ai connu des moments difficiles. Je suis déjà partie d'ici le mercredi en espérant que toutes mes paies passent le lendemain.»

Mais elle se cramponne. On lui propose de se joindre à un regroupement de chefs d'entreprise, où elle se trouve la seule femme. «J'ai énormément appris avec eux», assure-t-elle.

Relève et croissance

Il y a cinq ans, sa soeur Maud, qui a dix ans de moins qu'elle, a commencé à travailler pour l'entreprise. Elle a suivi une formation en leadership, s'est jointe à un groupe de relève. «Elle a plein de ressources qu'on n'avait pas à l'époque, qui existaient sans doute, mais dont mon père et moi ignorions l'existence», observe son aînée.

L'entreprise compte maintenant 85 employés, dans une usine de 40 000 pi2. Le chiffre d'affaires a explosé. Plus de 340 chaudières ont été vendues partout en Amérique du Nord.

«J'ai réalisé à quel point ç'a été dur pour mon père de me laisser aller quand ma fille de 20 ans a commencé à travailler à temps partiel avec nous, il y a deux ans, et qu'elle me donnait son opinion dans les corridors», confie Nancy.

Pour l'instant, Frédérike veut faire des études en éducation physique. Mais qui sait...

Et le papa de Nancy? «Nous sommes allés faire des commissions ensemble la fin de semaine dernière, indique-t-elle. Il m'a dit: est-ce que je t'ai dit dernièrement que j'étais très fier de toi?»