Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Si, demain matin, un homme pesant 200 kg battait Usain Bolt à la course, est-ce que vous assumeriez que les hommes qui pèsent 200 kg sont désormais devenus d’excellents sprinters ? Ou plutôt qu’il s’agit d’un cas d’exception ?

C’est l’analogie qui m’est venue en tête l’autre jour en lisant l’excellent papier1 de ma collègue Marie-Eve Fournier sur le fait qu’une maison est rarement un fonds de retraite.

Si ce texte a beaucoup fait réagir, c’est qu’il va au cœur d’un des mythes les plus populaires en finance : celui voulant que notre résidence principale puisse servir à financer deux ou trois décennies de vie à la retraite.

Ce prétendu pouvoir que l’on attribue à l’immobilier est assez récent. Il remonte à 15 ou 20 ans, soit au moment où la baisse des taux d’intérêt a augmenté l’appétit pour l’endettement et grossi le bassin d’acheteurs potentiels. Et qui dit plus d’acheteurs dit pression à la hausse sur les prix.

Historiquement, l’immobilier résidentiel des pays développés s’est apprécié d’environ 3 ou 4 % par année, soit un poil au-dessus du niveau de l’inflation. Toutefois, au cours des 20 dernières années, à nombre d’endroits au pays, l’immobilier s’est apprécié de deux à trois fois plus rapidement que ça.

Les gains de l’immobilier résidentiel ont alors rivalisé avec les gains des actifs financiers, les actions par exemple, qui ont une fiche historique de 9 ou 10 % d’appréciation annuelle en moyenne.

Autrement dit, pendant des années, un homme de 200 kg (l’immobilier résidentiel) a eu des rendements égaux, voire dans certains cas supérieurs, aux rendements d’Usain Bolt (les actions).

Quand un actif perçu comme étant sans risque offre autant de croissance qu’un actif risqué, le choix devient évident. Nos maisons sont donc passées d’endroits qui nous protégeaient de la pluie et du vent à des actifs qui allaient nous enrichir et qui s’occuperaient de financer notre retraite à notre place.

Ce qui nous mène à la chronique de Marie-Eve. Elle nous explique que les gens vieillissent généralement dans leur maison plutôt que de la vendre pour réaliser leur gain. Et quand ils finissent par la vendre, c’est souvent quand ils n’ont plus le choix, après l’âge de 85 ans, quand la retraite est déjà entamée depuis longtemps.

Dire que sa maison « est son fonds de retraite » semble logique en théorie. Dans la pratique, ça ne se passe souvent pas comme ça.

Ne pas investir ailleurs

Ce mythe peut provoquer une cascade de décisions discutables. Par exemple, il peut nous servir de justification pour surpayer une maison, car celle-ci nous permettra de bien vivre plus tard (ironiquement, une maison coûteuse aspirera une partie importante de notre revenu et pourrait agir comme un frein à notre enrichissement).

Ensuite, voir sa maison comme son fonds de retraite peut nous pousser à peu ou ne pas investir ailleurs. Donc on a la fausse impression de régler deux problèmes d’un coup. Surtout qu’acheter une maison est récompensé socialement. Une maison est bien visible. Un portefeuille d’investissement est invisible.

L’appréciation de l’immobilier a aussi donné l’impression que l’endettement massif était une voie sans douleur vers la richesse.

On parlait dans nos pages récemment2 d’un homme qui gagnait 50 000 $ par année et vivait des difficultés financières après avoir contracté une hypothèque de 250 000 $, soit cinq fois ses revenus. Une règle prudente en finance personnelle veut que la limite à ne pas dépasser pour l’achat d’une maison soit de trois fois les revenus annuels d’un ménage.

Dans un monde où l’immobilier ne fait que prendre de la valeur, cette règle est vue comme une chose dépassée. Mais quand les prix cessent de monter, que les acheteurs potentiels disparaissent, ou que les frais d’intérêt augmentent, les failles du plan deviennent apparentes.

Bref, l’immobilier semblait être l’actif parfait.

Je parle au passé parce que l’immobilier a cessé d’être excitant cette année. Les maisons à vendre s’accumulent sur les plateformes en ligne. En 10 ans, je n’ai jamais vu autant de pancartes « à vendre » dans ma rue.

La situation semble plus sérieuse en Ontario, où des prix coupés se multiplient dans un marché de plus en plus déprimé.

Je ne connais pas l’avenir. Peut-être qu’on vit le début de quelque chose. Ou peut-être que le marché immobilier va reprendre de la vigueur en 2024, et que le malaise de 2023 va être oublié aussi rapidement qu’il est arrivé. Je n’en ai aucune idée.

Ce que je sais, c’est que prendre un actif qui se trouve à une adresse, dans un quartier, dans une ville, un actif qui vient de connaître plus d’une décennie d’appréciation hors norme et lui confier sa sécurité financière à long terme est une dangereuse illusion.

Oui, la personne de 80 ans qui possède une maison payée est avantagée par rapport à celle qui n’a ni maison ni placements. Et l’exemption sur le gain en capital d’une résidence principale – financée par l’ensemble des contribuables, propriétaires ou non – est un cadeau qui récompense le choix de l’achat d’une maison.

Mais il est beaucoup plus prudent de se fier à des actifs diversifiés faciles et peu coûteux à liquider, comme des actions, des obligations, des FNB ou des fonds communs de placement, pour faire face aux dépenses de la vie quand on cesse de travailler.

Le meilleur moment pour acheter un véhicule neuf

Parlant de s’enrichir, un auditeur demandait l’autre jour à TVA quel était le meilleur moment pour acheter « un VUS ou un pick-up neuf » comme véhicule personnel. L’auditeur disait avoir « un budget de 600 $ par mois ». Le chroniqueur a répondu qu’il est préférable d’attendre vers la fin du mois, car les concessionnaires cherchent à atteindre leurs objectifs de vente et peuvent se montrer plus flexibles.

Tout ça est bien intéressant. Mais on évite l’éléphant dans la pièce : le meilleur moment pour acheter un véhicule est lorsqu’on a l’argent pour le faire. Je veux dire, payer le véhicule au complet. D’un coup. Comme un grand garçon ou une grande fille.

Devoir dépenser l’argent de la banque pour s’acheter un bien qui se déprécie comme un véhicule est la façon qu’ont trouvée les dieux de l’enrichissement pour nous dire qu’on n’a pas les moyens de l’acheter.

C’est fou que ça ait besoin d’être dit. Mais les avantages que le client va aller grappiller s’il achète à la fin du mois ne seront rien comparativement aux 10 000 $ ou 20 000 $ qu’il paiera en intérêts pendant la durée du financement, selon le modèle, la mise de fonds et le taux consenti. S’il était investi, cet argent payé en intérêts pourrait hypothétiquement doubler de valeur au bout d’une décennie au lieu de disparaître en fumée. On commence à parler de vrais sous ici.

Quelle est la solution ? S’il garde son véhicule actuel et épargne 600 $ par mois, cet auditeur aura 10 800 $ au bout d’un an et demi. On retrouve 3339 véhicules à vendre à ce prix ou moins sur Kijiji. De ce nombre, 533 sont des camionnettes. Une avenue beaucoup plus logique si on a peu d’économies.

1. Lisez la chronique « Une maison est rarement un fonds de pension » 2. Lisez le dossier « Quand la fin du taux fixe fait mal »