L’idée selon laquelle on va s’empresser à la retraite de vendre sa maison rendue trop grande et trop exigeante en entretien n’est que chimère. La vaste majorité des personnes âgées décident de vieillir chez elles le plus longtemps possible, jusqu’à ce que leurs enfants finissent par intervenir ou que leur santé les force à déménager pour obtenir des soins.

La courtière immobilière Stéfanie Cadou est très bien placée pour le savoir. Elle s’est spécialisée dans « les aînés en transition ». Sa clientèle est composée à 98 % de personnes âgées qui vendent leur résidence, une étape de leur vie très stressante. Les psychologues comparent le déménagement au deuil et à la perte d’emploi, même chez les 35 ans…

La plupart du temps, les aînés qui mettent leur maison en vente y ont vécu presque toute leur vie adulte, pendant 40 ou 50 ans, ils y ont élevé leurs enfants, y ont accumulé des tonnes de choses et de souvenirs. Partir devient donc une épreuve aussi difficile émotivement que physiquement, m’a raconté la courtière de Royal LePage Village, à Montréal. « Malheureusement, ça fait en sorte que les gens reportent le moment de déménager. »

Stéfanie Cadou utilise le mot « malheureusement », parce qu’elle voit bien que la peur de changer de milieu de vie, aussi légitime soit-elle, finit par nuire à la santé des aînés. Les chutes sont très fréquentes dans les maisons avec des escaliers et des salles de bains plus ou moins bien adaptées à la perte des capacités physiques. L’âge moyen de ses clients frôle les 85 ans.

PHOTO FOURNIE PAR STÉFANIE CADOU

La courtière immobilière Stéfanie Cadou de Royal LePage Village, à Montréal

Les aînés étirent l’élastique le plus possible, et c’est bien normal. Dans la majorité des cas, ce sont donc leurs enfants qui entreprennent les démarches pour vendre la maison familiale et gèrent le laborieux processus d’élagage.

La Société canadienne d’hypothèques et de logement (la SCHL) s’est récemment intéressée au comportement des personnes âgées sur le marché immobilier. Ses données vont exactement dans le même sens que les observations de Stéfanie Cadou sur le terrain : une « large proportion de ménages âgés » préfère vieillir dans sa maison plutôt que de la vendre. L’attrait pour les condos et le marché locatif existe bel et bien, mais il est « très limité ».

Voyons les chiffres.

En 2016, tout près de 467 000 ménages âgés de 75 à 79 ans possédaient une propriété au Canada. Cinq ans plus tard, ce groupe, désormais âgé de 80 à 84 ans, possédait 366 000 logis. Ces quelque 100 000 ventes signifient qu’un ménage sur cinq dans cette cohorte a vendu. C’est peu. Le « taux de vente », pour reprendre l’expression de la SCHL, grimpe à 83,5 % … mais seulement chez les 95 à 99 ans !

Autrement dit, la maison payée est loin d’être l’équivalent d’un régime de retraite dont on tire des revenus dès la soixantaine. En réalité, très peu de ménages vendent leur propriété pour vivre du fruit de la vente.

Ce n’est aucunement étonnant, de mon point de vue, car il faut bien se reloger quelque part, et aucune option n’est parfaite.

Les condos viennent avec des frais mensuels, les droits de mutation (la « taxe de bienvenue »), les taxes scolaires et municipales, des cotisations spéciales pour de grands travaux dans certains cas et encore des responsabilités. Compte tenu du prix élevé des condos actuellement, rester dans sa maison payée risque d’être plus économique, à moins de déménager dans un marché moins coûteux. De leur côté, les logements représentent des risques d’éviction et de hausses de loyer. Quant aux RPA, les résidences privées pour aînés autonomes, elles sont souvent perçues comme des lieux déprimants plutôt que des bateaux de croisière, en plus d’être particulièrement coûteuses.

Même si le nombre de personnes âgées va bondir dans les prochaines années, il ne faut donc pas s’attendre à ce que cela provoque une vague de nouvelles maisons sur le marché.

Les personnes âgées finissent par déménager, mais à un âge tellement avancé que le tsunami de propriétés à vendre est loin d’être pour demain, prévient la SCHL. Bref, les jeunes ne doivent pas trop compter là-dessus pour voir un accroissement de l’offre de maisons dans les prochaines années qui pourrait provoquer une diminution des prix.

C’est d’autant plus vrai que l’espérance de vie qui s’accroît repousse sans cesse le moment où les aînés décident de vendre leur maison. La santé qui s’améliore est un autre facteur. Garder la forme plus longtemps permet d’entretenir sa maison et son terrain. Il s’avère aussi que les baby-boomers ont des avoirs financiers plus importants que la génération précédente, de sorte qu’ils ont moins besoin de vendre pour financer leur retraite.

L’aîné qui manque de fonds ou qui veut accroître ses revenus pour voyager peut contracter une hypothèque inversée ou profiter de sa marge hypothécaire. Mais ces deux méthodes pour transformer sa maison en régime de retraite ne sont pas une panacée.