Le fisc a inscrit une hypothèque légale sur leur maison à cause des impôts d’entreprise impayés de son conjoint. Est-elle redevable de ses dettes ?

La situation

« Une hypothèque légale, on ne savait même pas ce que ce mot voulait dire, il y a trois semaines », a confié Hélène* lors d’une conversation téléphonique.

Elle avait écrit à La Presse quelques jours plus tôt.

« Une situation difficile vient de surgir dans notre famille, écrivait-elle. Ma fille, début trentaine et mère de deux enfants d’âge préscolaire, vient d’apprendre qu’il y a deux hypothèques légales sur sa maison. Elle est propriétaire à 50 % avec son mari. Les hypothèques légales sont au nom de son conjoint et sont dues au fait qu’il n’a pas payé ses impôts ni ses taxes d’entreprise et elles courent depuis 2019 à un taux d’intérêt de 10 %. »

Les chiffres

La maison

Achat en 2019

Prix : 250 000 %

Mise de fonds de 5 %

Conjoints mariés copropriétaires en parts égales

Solde hypothécaire : environ 150 000 $

Valeur actuelle : peut-être 550 000 $

1re hypothèque légale : 16 000 $

2hypothèque légale : 12 000 $

La conversation

« C’est une situation qui était inattendue, a précisé Hélène. Ma fille est mariée depuis 2017. »

Ils ont acheté la maison pour 250 000 $ en 2019 et ont versé une mise de fonds de 5 %.

Peu de temps après, son conjoint lui a appris qu’une hypothèque légale de 16 000 $ avait été inscrite sur la maison, mais qu’il s’engageait à la rembourser à raison de 3000 $ par mois.

L’homme est entrepreneur.

« Il n’avait pas payé ses taxes, donc TPS et TVQ d’entreprise. Et il n’avait pas fait son rapport d’impôt non plus. Ma fille ne s’en est pas souciée. Elle lui a fait confiance. »

Une confiance trahie.

« La situation était très tendue depuis les derniers mois pour des soucis d’argent, relate Hélène. Bref, ils sont en processus de séparation. On a fait des recherches et on a découvert qu’il y avait une autre hypothèque légale sur la maison. »

Celle-là a été déposée en 2021, à hauteur de 12 000 $.

« Il doit maintenant près de 30 000 $ au gouvernement provincial, pour des impôts et des taxes d’entreprise non payés. »

D’autres menaces sont imminentes.

« On s’attend à ce qu’il y ait une autre hypothèque légale cet automne. Parce qu’il n’a pas fait non plus ses impôts de 2020, 2021 et 2022. Il y a vraiment une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. »

Déchirures

Ils devront vendre la maison. Elle vaut probablement 550 000 $, estime la mère. Le solde hypothécaire avoisinerait 150 000 $.

« La maison était à 50-50 quand ils l’ont achetée. Ma fille craint que son équité [la valeur nette réelle] soit amputée par les dettes de son conjoint. Elle ne sait pas si elle peut être tenue responsable de ses dettes à lui, alors que ce sont des dettes d’entreprise. »

Hélène a une autre inquiétude.

« J’ai fait un don de 25 000 $ à ma fille en 2020 pour rénover la cuisine et la salle de bain. »

Sa fille pourra-t-elle récupérer l’entièreté de cette somme à la vente de la maison ?

« C’est très triste. Nous, ce qu’on veut, c’est nous assurer que les enfants aient un endroit décent pour aller vivre une fois qu’ils vont être séparés. Si toute l’équité de la maison s’en va dans ses dettes à lui, ça va être très difficile. »

La réponse

Régie par le Code civil, une hypothèque légale est un droit accordé au créancier sur un bien en cas de défaut de paiement, explique le planificateur financier David Truong, président de Banque Nationale Planification et avantages sociaux.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

David Truong, planificateur financier, président de Banque Nationale Planification et avantages sociaux

L’article 2724 précise que seuls quatre types de créances peuvent donner lieu à une hypothèque légale : les créances de l’État pour les sommes dues en vertu des lois fiscales, les créances des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble, la créance du syndicat des copropriétaires pour le paiement des charges communes, et enfin les créances qui résultent d’un jugement.

Dans le cas d’une hypothèque légale pour créance fiscale, « le gouvernement l’a inscrite pour dire : on va prendre les recours dont on dispose pour se faire rembourser », décrit David Truong.

Qu’est-ce que ça signifie pour la fille d’Hélène ? Est-elle en partie redevable de la piètre ponctualité fiscale de son conjoint ?

Ils sont mariés, ce qui implique qu’ils sont soumis au partage du patrimoine familial, dont fait partie la résidence familiale.

À la dissolution de l’union, la valeur de ce patrimoine doit être divisée en parts égales, après déduction des « dettes contractées pour l’acquisition, l’amélioration, l’entretien ou la conservation des biens qui le constituent », selon l’article 416 du Code civil.

L’hypothèque légale est-elle incluse dans ces dettes ? Si elle était déduite de la valeur nette de la propriété, il s’ensuivrait que la fille d’Hélène en assume la moitié.

« C’est une très bonne question », souligne David Truong, intrigué par ce problème peu courant en planification financière. « Est-ce que les deux sont responsables des taxes impayées qui ont été inscrites dans l’hypothèque légale ? J’ai posé la question à mes amis notaires de la Banque, et on a cherché quelques jugements. »

Ils en ont repéré deux.

Deux jugements concordants

Dans un jugement rendu en Cour supérieure en 2010, le demandeur (le mari) demandait que sa conjointe assume la moitié de l’hypothèque légale de 28 475 $ que le fisc avait obtenue à son encontre pour impôts d’entreprise impayés. Il alléguait que l’argent qu’il n’avait pas appliqué au paiement des dettes de ses sociétés avait servi directement à faire vivre sa famille.

La défenderesse (sa conjointe) demandait d’exclure du patrimoine familial les dettes reliées « aux agissements illégaux du défendeur dans la gestion de ses sociétés québécoises qui avaient occasionné deux hypothèques légales sur la résidence familiale ».

La juge lui a donné raison.

Elle a conclu que les hypothèques légales devaient être exclues des dettes du patrimoine familial « puisqu’elles résultent de jugements que le fisc (ministère du Revenu national et ministère du Revenu du Québec) a obtenus contre le demandeur personnellement, en tant qu’administrateur et actionnaire unique, en raison de ses abus dans la gestion de sa société ».

Elle a ordonné qu’au moment de la vente de la résidence, ces dettes « soient payées directement au fisc à même la part revenant au demandeur ».

Bien fait.

Un autre jugement rendu en 2012 a tiré les mêmes conclusions.

« La valeur des hypothèques légales, soit 28 475,58 $, rattachées aux dettes des sociétés du demandeur qui grèvent présentement la résidence familiale, devra donc être acquittée exclusivement à même la part du demandeur dans la résidence familiale », a asséné le Tribunal.

La fille d’Hélène pourra parcourir, voire citer ces deux jugements, qu’il est possible de consulter sur le site de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ).

Consultez le premier jugement Consultez le second jugement

David Truong lui conseille néanmoins de consulter un avocat.

« On peut faire affaire avec un médiateur, mais ce n’est pas tout le monde qui connaît nécessairement toutes ces petites subtilités », relève-t-il.

Et le don de 25 000 $ ?

Hélène s’inquiétait également du don de 25 000 $ qu’elle avait fait à sa fille pour la rénovation de la cuisine. Sera-t-il fondu dans la valeur du patrimoine familial, donc partagé en deux ?

L’article 418 du Code civil stipule que lorsque la valeur nette du patrimoine familial est établie, il faut en déduire la valeur nette des biens qu’un époux possédait au moment du mariage et qui font partie de ce patrimoine.

« On en déduit de même celle de l’apport, fait par l’un des époux pendant le mariage, pour l’acquisition ou l’amélioration d’un bien de ce patrimoine, lorsque cet apport a été fait à même les biens échus par succession ou donation, ou leur remploi », précise l’article.

Le don de 25 000 $ d’Hélène à sa fille semble donc exclu du patrimoine familial – ce qu’un avocat ou un notaire devra confirmer, bien entendu.

Subsiste-t-il des preuves ou des indices de ce don de 25 000 $ et de son emploi aux travaux de rénovation ?

« Pour un don, mieux vaut garder une trace », exprime David Truong. Un don substantiel pourrait par exemple être enregistré auprès du RDPRM, autrement connu sous le nom de Registre des droits personnels et réels mobiliers.

« Ça ne coûte pas cher, et ça permet d’éviter toute confusion éventuelle. »

Note :
Cet article a été modifié le 19 décembre 2023 pour ne pas laisser entendre que le planificateur financier invité formulait des conseils et avis juridiques que seul un avocat ou un notaire est autorisé à donner.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.