Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Il y a des concepts avec l’argent qu’on peut expliquer maladroitement des dizaines de fois, puis on découvre qu’une façon plus simple et intelligente d’en parler existe, et tout devient clair.

C’est le cas avec la règle de 752, et je vais vous expliquer pourquoi.

Les illuminés comme moi aiment dire aux gens d’investir leur argent plutôt que le dépenser pour des achats non essentiels à leur bonheur sur terre. Un café à 5 $ bu rapidement en répondant à des courriels. Du Uber Eats à 68 $ pour deux commandé un soir où le frigo est vide. Un forfait cellulaire à 125 $ par mois pour posséder le tout dernier iPhone.

Bref, toutes sortes de dépenses souvent oubliées la minute d’après. Ou alors vite intégrées à un niveau « normal » de satisfaction de la vie une fois passée l’excitation de la nouveauté, souvent au bout d’un mois ou deux.

C’est toujours difficile d’expliquer pourquoi ces dépenses sont importantes, parce que les montants en jeu ne sont pas impressionnants. C’est ici qu’intervient la règle de 752.

Que fait cette règle ? Elle agit comme une paire de lunettes qui nous fait voir le vrai coût des choses.

Pour connaître le prix qu’on paye réellement pour un objet ou un service, il suffit de prendre ce qu’il nous coûte par semaine, et de le multiplier par 752. Le résultat est la somme qu’on aurait dans notre compte d’investissement au bout d’une décennie si cette somme avait plutôt été investie dans des actifs financiers, et avait obtenu une croissance annuelle de 7 %, soit un rendement inférieur à celui d’un portefeuille équilibré de fonds indiciels 60 % actions, 40 % obligations (8,5 % par année en moyenne depuis 50 ans). Pour des dépenses mensuelles, multipliez plutôt par 173.

Imaginons un exemple. Joséphine est ingénieure, elle travaille fort, et gagne bien sa vie. Elle n’a pas l’habitude de se faire de lunch. Elle dépense environ 20 $ par jour pour un lunch à emporter le midi, et 5 $ pour un café près du travail, ce qui fait 125 $ par semaine.

Joséphine sait qu’elle pourrait conduire un petit véhicule d’occasion, ou parfois prendre le vélo ou les transports en commun. Mais elle a opté pour un VUS neuf « pour ne pas tomber en panne » et parce qu’elle est « rendue là dans la vie ». En incluant les frais d’intérêt et les taxes, elle remet 390 $ toutes les deux semaines à la banque pour ce privilège, ce qui fait 195 $ par semaine.

Sa garde-robe commence à dater, donc elle dépense en moyenne 150 $ par mois (35 $ par semaine) pour quelques nouveaux vêtements. Posséder le tout dernier iPhone et un forfait riche en données à 125 $ par mois (29 $ par semaine) sont des dépenses qu’elle est « prête à assumer ».

Train de vie normal ? Pour une professionnelle en milieu de carrière, il n’y a rien de scandaleux ici.

Les quatre dépenses que je viens de décrire coûtent 384 $ par semaine. Mais le vrai coût est bien différent : multiplié par 752, cela donne près de 290 000 $ par décennie.

S’il est maintenu de l’âge de 30 ans à l’âge de 65 ans, ce train de vie complètement banal pour des dizaines de milliers de Québécois aura en fait coûté 3 millions de dollars.

Qu’est-ce que Joséphine pourrait faire avec 290 000 $ au bout de 10 ans ? Elle pourrait payer comptant pour un véhicule (ou en offrir un à un proche mal pris financièrement). Prendre une année sabbatique. Voyager. Vivre une récession ou une perte d’emploi sans stress alors que tout le monde au bureau panique. Ou alors choisir de rembourser son hypothèque et de ne plus jamais devoir un dollar à qui que ce soit parce qu’elle est « rendue là dans la vie ».

Même personne. Même emploi. Deux parcours différents.

La plupart des gens pensent qu’il faut être médecin spécialiste ou propriétaire d’une entreprise de construction pour s’enrichir. Ou alors qu’il faut toucher un gros boni de fin d’année, ou ne pas avoir d’enfants.

Peu de gens réalisent que des choses comme des petits paquets d’Aritzia ou d’Amazon, un VUS neuf, un forfait cellulaire, et des paninis-pas-super-bons achetés près du bureau ont des coûts qui dépassent le million de dollars assez rapidement dans une carrière.

Et pas besoin d’avoir un train de vie élevé pour utiliser la règle de 752. Acheter 5 cafés par semaine coûte 25 $. Faire son café à la maison coûte moins de 5 $. Au bout de 10 ans, la différence (20 $ par semaine, multipliés par 752) aura réellement coûté 15 040 $.

Je ne dis pas de ne pas acheter de cafés. Je dis que la question se pose : qu’est-ce qui vous rendrait le plus heureux ? Boire des cafés dans un gobelet, ou découvrir 15 000 $ dans la poche de votre manteau toutes les décennies ?

Pour être 100 % clair, les achats que je viens de mentionner ne sont pas les causes de notre inhabilité à nous enrichir.

Mais ils en sont souvent les symptômes.

On peut tout à fait s’enrichir en faisant ces dépenses. Mais il faut alors gagner un salaire très, très élevé, et en mettre une portion importante de côté. Pour la majorité d’entre nous, mieux planifier nos dépenses est la façon la plus directe d’augmenter notre épargne et notre indépendance – peu importe notre niveau de revenus.