Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Voici quelques manchettes du New York Times :

« Les Israéliens n’envisagent un cessez-le-feu qu’après une défaite palestinienne »

« Les Saoudiens réduisent leur production de pétrole de 10 % pour faire pression sur les États-Unis »

« La Maison-Blanche ordonne un délai sur la question du commerce avec la Russie »

« Des avions de chasse nord-coréens auraient affronté des avions israéliens au Moyen-Orient »

« L’Europe s’inquiète de la contagion des problèmes pétroliers »

« Le prix de l’électricité en hausse »

« Les choses vont empirer avant d’empirer »

Ces gros titres font-ils grimper votre niveau de stress ? Ils font certainement grimper le mien. Investiriez-vous de l’argent après les avoir lus ?

Si la réponse est non, vous avez perdu.

Ces titres ont été publiés en octobre 1973, il y a exactement 50 ans.

Une somme de 1000 $ investie dans un portefeuille équilibré (60 % en actions américaines, canadiennes et internationales, et 40 % en obligations) en 1973 vaut 65 000 $ aujourd’hui, une croissance annuelle moyenne de 8,7 %.

J’ai souri cette semaine quand le balado financier Animal Spirits a énuméré ces grands titres. C’est qu’en écoutant les nouvelles ou en lisant le journal, c’est facile d’avoir l’impression de traverser une époque hors norme. Les choses allaient peut-être mal avant. Mais elles vont vraiment, vraiment mal aujourd’hui.

Je ne veux pas minimiser les problèmes qui frappent la vie de millions de personnes, avec les changements climatiques qui viennent de commencer à affecter nos vies.

Mais en lisant les nouvelles au jour le jour, c’est facile de tomber sous l’influence du chronocentrisme, soit de croire que la période dans laquelle on vit est plus riche en crises et en évènements significatifs que les périodes passées.

Cela nous donne l’impression que faire une chose comme investir est plus risqué qu’avant. Qu’on a déjà pu avoir une idée claire de ce qui s’en venait, mais que l’avenir est désormais indéchiffrable. Qu’il faut en conséquence opter pour la prudence.

Toutes les périodes sont indéchiffrables. Toutes les époques refusent de nous donner une idée claire de ce qui s’en vient. Le monde a toujours été un endroit imprévisible, rempli de dangers, de crises, de risques.

Découragés

Un sondage réalisé par la firme Nanos Research a montré cette semaine que plus de 50 % des Canadiens estiment que leur situation financière personnelle s’est détériorée depuis le début de l’année. Aussi, près d’une personne sur cinq s’attend à une baisse des prix de l’immobilier.

Plusieurs lecteurs sont découragés.

« Il semble n’y avoir que des nuages pour les deux prochaines années », m’écrit Roch, qui craint que « les chutes boursières prévisibles ne fassent un gros trou dans [ses] placements ».

Aucune chute boursière n’est prévisible. Permettez-moi de le répéter : aucune chute boursière n’est prévisible. Si une chute était prévisible, elle serait déjà survenue.

Pour le comprendre, je vous invite à tenir un journal de bord. Au moins une fois par mois, écrivez dans votre journal ce que vous croyez que les marchés vont faire dans l’avenir.

Puis, tous les six mois environ, relisez-vous.

Vous réaliserez ce que des chercheurs ont constaté depuis des générations : les prévisions sur l’avenir des marchés à court terme sont aussi fiables qu’un lancer à pile ou face.

Rechercher la certitude

Pourtant, objectivement, les choses vont plutôt bien dans l’économie.

La récession prédite par absolument tout le monde depuis bientôt deux ans n’est encore qu’une hypothèse. Le taux de chômage est en baisse depuis plusieurs années au Québec, au Canada et aux États-Unis. Les revenus des ménages atteignent des sommets. On en entend peu parler, mais la croissance des salaires a même dépassé l’inflation, compensant ainsi les pertes causées par la croissance des prix.

Si un expert avait prédit tout cela il y a un an, il aurait sans doute fait rire de lui.

Comment se portent les actifs financiers ? Généralement bien. Au cours des 5 dernières années, les actions canadiennes sont en hausse de 40 %, en incluant le réinvestissement des dividendes. Les actions américaines sont en hausse de 60 %.

Un portefeuille de fonds indiciels axé sur la croissance (80 % actions, 20 % obligations) est en hausse de 5,63 % par année en moyenne depuis 5 ans. Même un portefeuille équilibré (60 % actions, 40 % obligations) est en hausse d’un peu plus de 4 % par année. Et cela inclut le krach de 2020, le marché baissier de 2022 et la pire période pour les obligations depuis plus d’un siècle.

Comment se comporter face à l’incertitude ? On ne devrait pas agir en fonction des actualités. On devrait continuer d’investir chaque jour de paye, ou alors dès qu’on a de l’argent.

« Attendre les chutes » pour investir peut sembler logique. C’est un biais cognitif qui travaille à nous appauvrir, car je ne sais plus si je vous l’ai dit, mais les chutes sont imprévisibles.

Certains achats se produiront dans un marché en hausse. D’autres, dans un marché en baisse. Des crises vont survenir. Des manchettes vont faire peur.

La pire chose qu’un investisseur puisse faire, c’est de paniquer. Laisser ses émotions contrôler ses investissements. Chercher désespérément de la certitude dans un monde qui n’en a jamais offert.

« La Bourse est un moyen de transférer de l’argent de l’impatient au patient », a dit Warren Buffett.

Investissons en conséquence.

Mettre la BMW devant les bœufs

Mon texte de la semaine dernière, qui portait sur le luxe, a suscité beaucoup de réactions.

Nicole écrit : « Le vrai luxe ? C’est de pouvoir s’endormir le soir sans être tourmenté par les comptes à payer. Et de savoir qu’on a un coussin financier en cas de pépin. »

Plusieurs lecteurs ont aussi pris plaisir à me décrire leur train de vie élevé et à énumérer les voitures de prestige qui se trouvent dans leur garage. Porsche, BMW, Audi, Mercedes…

Cela m’a laissé avec l’impression que l’on confond souvent « train de vie » et « richesse ».

Le train de vie, c’est ce qu’on voit. La richesse, c’est ce qu’on ne voit pas.

Imaginez un joueur de hockey qui a une vie de rock star jusqu’à 34 ans, puis qui prend sa retraite, vit un divorce et fait faillite. Est-il riche ? Je dirais qu’il ne l’a jamais été.

Le mot « richesse » et le mot « indépendance » sont inséparables. Un couple qui gagne 800 000 $ par année après impôt, en dépense 725 000 $ et possède des placements de 600 000 $ a un gros train de vie. Mais il n’est pas riche. Ce couple est à un burn-out, un accident, une perte d’emploi, un divorce ou une récession de la ruine financière.

Je n’ai rien contre les achats de luxe. Mais je suis en faveur d’établir des priorités.

Dans mon esprit, remplir son REER, son CELI et ses REEE, avoir peu ou pas de dettes et posséder l’équivalent d’une décennie ou deux de nos dépenses annuelles en actifs financiers ou en immobilier locatif est l’absolu minimum requis avant de même penser à choisir une BMW comme véhicule personnel, achetée comptant, bien sûr (exception faite des gens qui doivent épater d’éventuels clients ou partenaires. Dans ces cas précis, le véhicule peut avoir une fonction marketing et générer beaucoup plus que sa valeur en revenus).

Pour la majorité d’entre nous, faire le choix d’un moyen de transport coûteux à opérer, à entretenir et à réparer nuira chaque jour à notre capacité à nous enrichir et à gagner en indépendance, à décider de la façon dont on passe nos journées, à ne pas dépendre de l’état de l’économie, d’une carrière qui pourrait cesser de nous captiver, ou d’un patron qui pourrait se révéler toxique.

« Chaque sou dans ta main ajoute un sou au pouvoir de déterminer ton avenir », écrivait l’industriel américain John D. Rockefeller dans une lettre à son fils, écrite il y a 117 ans.

Rien n’a changé.