Les titres à dividendes ont souffert de la récente remontée des taux obligataires. Est-ce le temps de les adopter ?

Après avoir perdu près de 20 % de sa valeur, le titre de BCE offre ces jours-ci un rendement du dividende de 7,5 % par année. C’est bien plus que l’inflation.

Le dividende est la partie du bénéfice net que redistribue l’entreprise à ses actionnaires. Il est généralement trimestriel, mais il peut être versé tous les mois ou une fois par semestre, selon les cas. Il peut être fixe ou varier d’une période à l’autre. Dans les faits, les entreprises augmentent le dividende quand leur situation financière le permet, mais elles sont plus réticentes à le réduire quand les choses se corsent. Quand elles se résignent finalement à le faire, habituellement, elles ne peuvent plus vraiment faire autrement.

Un rendement de 7,5 % signifie que l’investisseur touchera chaque année sous forme de dividende 7,5 % du prix auquel il a acheté l’action. Plus si le dividende est augmenté, moins s’il diminue. Le rendement varie donc quotidiennement en raison de la volatilité du prix de l’action.

Alors un rendement du dividende de 7,5 %, est-ce tentant ou non ?

La question se pose parce que les adeptes des dividendes ont souffert ces derniers mois. Ils ont assisté, impuissants, à la baisse continue de leur portefeuille. C’est bien beau de recevoir un dividende de 5 % et plus, mais si le prix de l’action sous-jacente recule de 15 % dans l’intervalle, on ne s’en sort pas plus riche.

Considérons le fonds négocié en Bourse iShares Canada Select Dividend Index (XDV, à Toronto), inspiré de l’indice Dow Jones du même nom. Depuis le début de l’année, le rendement total obtenu, dividendes inclus, atteint 0,54 %. Il s’agit d’un rendement inférieur au rendement total de 4,25 % obtenu par l’indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto au cours de la même période.

Les titres à dividendes souffrent de la remontée des taux sur les obligations de long terme avec lesquelles ils sont en concurrence pour attirer les capitaux des investisseurs. Quand les taux des obligations augmentent, elles peuvent devenir plus alléchantes que les actions à dividende. Les taux obligataires ont augmenté en raison de l’inflation, mais pas seulement, selon les explications de la Financière Banque Nationale (FNB).

« [La récente montée des taux obligataires] reflète également les préoccupations croissantes concernant la trajectoire budgétaire de plusieurs économies avancées. Le déficit médian pourrait être le plus important jamais enregistré depuis les années 1940, hors récession », lit-on dans le dernier numéro du Mensuel économique.

Ces jours-ci, le taux 5 ans sur les obligations du gouvernement canadien donne un rendement courant de 4,3 %. Pas plus tard qu’au début de mai 2023, le même taux s’établissait plutôt à 2,87 %.

Selon le scénario privilégié de FNB, le taux des Canada 5 ans culminerait à 4,90 % au 4trimestre de cette année. Nul ne connaît avec certitude la trajectoire des taux obligataires dans l’avenir. Les chances sont bonnes toutefois que le gros de la hausse des taux soit derrière nous.

C’est dans ce contexte qu’on se questionne sur la pertinence d’investir dans les actions à dividendes élevés à ce moment-ci.

Dans la durée, les dividendes représentent une portion considérable du rendement total d’un investisseur, a rappelé récemment Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative chez Banque Scotia Marchés mondiaux.

« Ainsi, 100 $ investis en 1956 dans l’indice TSX vaudraient aujourd’hui environ 3600 $ contre 29 000 $ en tenant compte des dividendes reçus », écrivait-il dans une note à sa clientèle le 27 septembre dernier.

Au Canada, les titres à dividendes élevés se concentrent dans les télécommunications, l’énergie, les services publics et les titres financiers.

Quels titres choisir ?

Dans ses suggestions, l’expert Hugo Ste-Marie s’attarde aux titres qui offrent un rendement courant de 3 % par année au minimum et qui ont de fortes chances d’augmenter leurs dividendes en 2024. Cette hausse espérée doit s’appuyer sur la croissance des profits ou des flux de trésorerie disponibles (free cash flow).

Dans les télécoms, son choix porte sur Telus. D’après lui, la société devrait connaître la plus importante variation des flux de trésorerie libérés du secteur, en raison d’une baisse des investissements et d’une hausse attendue du bénéfice d’exploitation découlant des compressions de dépenses annoncées en 2023. La société a pour politique de faire croître son dividende de 7 à 10 % annuellement.

M. Ste-Marie ne se prononce pas sur BCE, société mère de Bell. Le titre a souffert dernièrement, au point que son dividende donne aujourd’hui un rendement de 7,5 %, ce qui est historiquement élevé. BCE a une longue feuille de route de croissance du dividende. Le regretté chroniqueur financier Claude Chiasson a fait sa carrière en prônant l’achat de titres versant des dividendes croissants sur faiblesse des cours.

« Depuis son entrée en Bourse en 1983, BCE n’a jamais réduit ses dividendes, dit dans un courriel Éliane Légaré, porte-parole de BCE. En général, les dividendes ont toujours augmenté, à l’exception du deuxième et du troisième trimestre 2008, où ils ont été suspendus et n’ont pas été payés. Depuis le premier trimestre 2009, les dividendes sont en hausse et l’objectif de croissance des dividendes est toujours maintenu. 2023 est la 15e année consécutive au cours de laquelle BCE a enregistré une croissance des dividendes de 5 % ou plus. »

Daniel Ouellet, du Goupe Ouellet Bolduc, affilié à Desjardins Gestion de patrimoine, a récemment réinvesti ses liquidités excédentaires dans des titres comme BCE, Telus et TC Energy. « On pense que la hausse des taux de long terme est pas mal terminée et que le réajustement du prix de ces actions est pas mal fait, explique-t-il dans un entretien. On a une très belle fenêtre qui s’ouvre pour revenir au Canada. Le taux de change est 1,37 et la Bourse canadienne sous-performe la Bourse américaine depuis quelques années. D’un point de vue de valorisation, on commence à trouver que la Bourse canadienne redevient attrayante. »

Sur la question de l’endettement élevé de ces trois sociétés, une situation qui inquiète les investisseurs, M. Ouellet dit avoir fait ses devoirs. Dans le cas de BCE, seulement 28 % de sa dette sera renouvelée d’ici trois ans. Selon ses calculs, on parle de 150 millions d’intérêts additionnels à absorber annuellement. « C’est gérable », avance-t-il.

Titres défensifs moins vulnérables en cas de récession, les télécoms profitent de la croissance vigoureuse de la population canadienne, souligne le gestionnaire de portefeuille.

En contrepartie, BCE distribue une somme plus élevée en dividendes que ses flux de trésorerie disponibles. Un ratio de distribution aussi élevé pose un risque sur la croissance future du dividende, reconnaît M. Ouellet. « Mais je ne suis pas inquiet pour la poursuite du dividende », soutient-il.

TC Energy est le choix du stratège de Scotia dans les services publics. Le rendement est élevé, mais M. Ste-Marie est rassuré sur son caractère soutenable en raison des progrès dans la construction du pipeline Coastal GasLink et de la vente de certains actifs.

Dans le secteur financier, M. Ste-Marie préfère les assureurs vie aux banques. Son choix favori est Manuvie, dont le dividende estimé à 1,58 $ en 2024 est censé représenter 44 % du bénéfice distribuable, un ratio qui le rassure sur la pérennité de la distribution.

Du côté des banques canadiennes, la CIBC livre un rendement courant de 6,7 %, le plus généreux des grandes banques canadiennes à part la Scotia. Ces dernières années, les investisseurs n’ont jamais regretté d’avoir acheté des actions bancaires. Cette fois-ci, cependant, l’encours élevé des prêts hypothécaires jumelé au niveau élevé des taux d’intérêt en fait douter plusieurs. CIBC distribue des dividendes sans interruption depuis 1868. La Confédération canadienne avait un an.

Des risques

Courir après les titres à dividendes élevés peut s’avérer risqué. Des exemples sont légion où un taux de rendement élevé a été annonciateur d’une réduction draconienne du dividende. Le cas de Cominar est éloquent. De 2016 à 2021, cette fiducie de placement immobilier a réduit son dividende chaque année. La société a finalement été privatisée en 2022.

Le dividende, c’est un élément de l’équation. C’est une façon de redistribuer la richesse, mais un investisseur doit considérer le rendement total que l’entreprise peut procurer, pas juste le dividende.

Yannick Clérouin, gestionnaire de portefeuille chez Medici et ancien journaliste financier

« Les entreprises qui versent des dividendes élevés, poursuit M. Clérouin, du secteur des télécommunications, du secteur de l’énergie, des banques, ce sont des entreprises qui sont parvenues à maturité et qui ne trouvent pas de nouvelles occasions de croissance pour réinvestir le capital à des rendements élevés. Chez Medici, on privilégie les entreprises qui ont la capacité de réinvestir leurs bénéfices à des taux de rendement élevé. »

Traitement fiscal avantageux

L’investisseur qui reçoit un dividende d’une société canadienne profite d’un traitement fiscal plus avantageux que celui qui s’applique sur un revenu d’intérêt. Pour simplifier la comparaison, il faut multiplier le rendement courant du dividende par un coefficient de 1,2844 pour obtenir l’équivalent d’un rendement avant impôt sur un revenu d’intérêt, tiré par exemple d’un certificat de placement garanti. Les calculs valent tant que l’action est détenue dans un compte comptant, non enregistré. Les comptes REER, CELI et CELIAPP sont des comptes enregistrés.