À la suite de la mort subite de sa mère, une lectrice de 36 ans a reçu des placements en héritage. À la fois liquidatrice et seule héritière, elle se demande comment organiser cette succession.

La situation

Audrey*, fille unique, se retrouve orpheline à 36 ans.

« Ma mère vient de mourir et je suis pour la première fois de ma vie liquidatrice d’une succession, raconte-t-elle au téléphone. J’hérite d’un gros montant en forme de placements et je ne sais pas trop comment gérer la transition. »

Le père d’Audrey étant décédé il y a quelques années, elle est aussi la seule héritière.

« Ma mère avait des FERR, des CELI, des CPG et des fonds communs, explique-t-elle. Que dois-je faire avec ça ? »

En répondant à nos questions, Audrey comprend que sa mère avait des placements enregistrés et non enregistrés dans deux types de produits.

Un FERR de 65 000 $ en CPG (certificat de placement garanti) dont l’échéance est en septembre 2024, un CELI de 82 000 $ en CPG avec la même échéance et un placement non enregistré de 217 500 $ en fonds communs de placement.

Audrey a déjà transféré tous les placements dans un compte de succession à l’institution financière où sa mère était cliente.

« J’aimerais savoir comment diminuer ma facture fiscale, car je sais que je vais avoir de l’impôt à payer sur cet héritage. »

« Et ensuite, qu’est-ce que je fais avec cet argent inattendu ? Je le place dans quoi ? », se questionne-t-elle.

Les chiffres

Salaire : 175 000 $

REER : 145 000 $

Espace REER disponible : 20 000 $

CELI : 100 000 $

Espace CELI disponible : aucun

Épargne non enregistrée : 5000 $

Hypothèque : 200 000 $ (1,74 % fixe 5 ans)

L’analyse

Sylvain B. Tremblay, planificateur financier, vice-président gestion privée chez Optimum gestion de placements, s’est penché sur les questions soulevées par la liquidatrice héritière.

Tout d’abord, il faut prévoir une facture d’impôt sur le rendement du portefeuille de fonds communs de placement détenus par la défunte, c’est-à-dire sur le gain en capital, explique Sylvain B. Tremblay.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Sylvain B. Tremblay, planificateur financier, vice-président gestion privée chez Optimum gestion de placements

Le fonds est réputé avoir été vendu à la juste valeur marchande le jour du décès. L’héritière devra payer de l’impôt non pas sur les 217 500 $, mais sur les gains en capital générés depuis l’ouverture du fonds commun de placement. Seulement 50 % du gain en capital est imposé dans la déclaration du défunt, parce que ce n’est pas un conjoint.

Le CELI en CPG peut être encaissé dès maintenant sans les intérêts ou bien à l’échéance en septembre 2024 avec les intérêts. Le CELI n’est pas imposable, mais les revenus d’intérêts générés par le CPG à partir de la date du décès le sont et devront s’ajouter au revenu de l’héritière dans ses impôts de 2024, explique le planificateur financier.

Le FERR a été désenregistré au décès et transféré tel quel au compte de succession. Les 65 000 $ généreront aussi des revenus d’intérêts jusqu’à l’échéance en septembre 2024. Le montant total deviendra désenregistré et devra être ajouté dans la déclaration de revenus de 2024 de la défunte.

La liquidatrice doit s’assurer de garder les fonds nécessaires pour payer les impôts.

Le CELI et le FERR n’existeront plus. Ils deviendront simplement une somme d’argent.

La liquidatrice héritière pourrait décider de régler tout de suite la succession en transférant tous les avoirs dans son compte.

Mais il y a une autre solution : prolonger la succession de 36 mois.

« C’est quelqu’un qui a un très bon revenu et, de ce fait, elle paye beaucoup d’impôts. Au lieu de transférer tout de suite l’argent dans le compte de l’héritière et d’avoir à payer le gros taux d’imposition sur ces revenus supplémentaires, elle pourrait bénéficier d’un impôt progressif en laissant traîner la succession pendant 36 mois jusqu’en 2026. »

Le terme utilisé pour désigner cette prolongation de succession est « administration post mortem ».

Au lieu d’avoir un taux marginal d’impôts à payer de 49,96 % et de grimper par la suite à 53,31 % pour les sommes ajoutées par l’héritage, la portion de l’héritage sera imposée à un taux marginal de 12 % à 36 %.

Si les placements sont faits à partir du compte de succession et non pas transférés dans le compte de l’héritière, le taux marginal d’imposition sera plus avantageux.

Depuis 2016, les lois fiscales limitent à 36 mois la période pendant laquelle une succession peut bénéficier d’un taux d’imposition progressif.

« On s’entend que dans son cas, ce ne sera pas des économies à tout casser, car il ne s’agit pas d’une succession d’un million, affirme l’expert. Cependant, la personne pourrait économiser 3000 $ par année pendant trois ans. »

La deuxième option : baisser ses impôts en cotisant 20 000 $ en REER, l’espace qui lui reste, avec l’argent de l’héritage ou avec ses épargnes annuelles.

Que faire avec les 217 500 $ ?

« Pour l’instant, je lui conseille de ne pas toucher à son hypothèque. Même si le montant est disponible, on ne la rembourse pas. Un taux de 1,74 % jusqu’en 2025, c’est génial », insiste Sylvain B. Tremblay.

« À l’échéance du terme, il faudrait analyser la situation. Si le taux a grimpé à 8 %, je la rembourserais… À moins qu’elle soit mariée », soulève le planificateur.

Quand tu reçois un héritage, il est à toi seul, même marié. Sauf si tu te mets à payer la maison ou que tu le places dans un REER existant.

Sylvain B. Tremblay, planificateur financier, vice-président gestion privée chez Optimum gestion de placements

Si l’héritière veut s’assurer qu’elle n’aura pas à partager cet héritage en cas de divorce, elle doit le placer dans un nouveau REER à part et qu’on puisse suivre de façon claire la progression des intérêts ou du gain en capital.

Où devrait-elle investir ? Selon Sylvain B. Tremblay, l’héritière doit s’asseoir avec son planificateur ou son conseiller afin d’établir une politique de placements à long terme.

« Adhérer à une politique de placement permet de passer à travers les périodes plus difficiles. En 2022, ceux qui s’en sont mieux tirés sont ceux qui sont restés collés à leur politique de placement. Même chose en 2008. 

« Si l’héritière a déjà une politique de placement, elle n’a qu’à joindre les nouveaux montants à son portefeuille existant, soit pour ajouter de nouvelles catégories de placement, soit pour en bonifier d’autres. »

Comme Audrey n’a que 36 ans et que son horizon de placement est long, Sylvain B. Tremblay lui recommande d’axer sa politique de placement sur des actions d’entreprises de bonne qualité avec de beaux bilans qui passeront à travers la petite récession qui s’en vient.

« Par contre, je n’irais pas dans les cyberdevises. Il faut être capable de supporter ce risque-là, c’est tellement volatile. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.