Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont repris ici le dimanche.

J’ai deux histoires qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre, mais qui montrent comment la facilité est l’une des clés de notre comportement.

Quand j’allais à l’école secondaire, le directeur appelait chaque semaine plusieurs élèves à l’interphone, et la façon dont il s’y prenait me rendait fou.

En plein cours, on entendait soudainement sa grosse voix qui disait quelque chose comme : « Les élèves suivants, rendez-vous au local D-103. » Puis il nommait une dizaine d’élèves de l’école, et raccrochait.

Chaque fois, des élèves embrouillés se levaient et, n’ayant pas bien saisi le numéro du local au début du message, finissaient par aller au secrétariat pour demander où ils devaient se rendre.

Cela agaçait le directeur. La fois suivante, il disait : « C’est important ! Les élèves que je vais nommer, rendez-vous au local C-308. » Et il nommait des élèves. Encore une fois, beaucoup ne savaient pas où aller.

Plus l’année avançait, plus on sentait monter la colère du directeur. « Écoutez bien ! Je ne répéterai pas ! », et ainsi de suite.

Ce qui me rendait fou, c’est que tout ça aurait pu être évité si le directeur avait tout simplement nommé les élèves en premier, et le local ensuite.

En entendant leur nom à l’interphone, les élèves concernés auraient naturellement été attentifs à la suite du message. Mais en commençant par nommer le local, le directeur s’attendait à ce que des centaines d’élèves occupés à faire autre chose retiennent le numéro d’un endroit qui ne les concernait pas et où ils n’iraient jamais, ce qui est illogique.

Ma deuxième histoire se passe au début de la Première Guerre mondiale, alors que les coffres du gouvernement fédéral étaient vides.

Pour amasser des fonds, Ottawa a lancé les obligations de la Victoire, dans lesquelles le public et les entreprises pouvaient investir pour une période de 5, 10, 20 ans ou plus, avec intérêts.

Ça a eu du succès, mais pas assez pour financer l’envoi de centaines de milliers de Canadiens sur les champs de bataille. Après un débat difficile, le gouvernement a adopté en 1917 la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, le premier impôt sur le revenu au pays, qui devait prendre fin en même temps que la guerre.

Le gouvernement venait de goûter à une façon « facile » de se financer. Vous connaissez la suite : la guerre a pris fin l’année suivante, mais l’impôt sur le revenu est resté.

La morale de ces deux histoires, c’est que si vous voulez que les organisations ou des gens fassent quelque chose, il faut que ce quelque chose soit facile.

Sans surprise, l’épargne et l’investissement fonctionnent de la même façon.

Bien souvent, on a l’intention d’épargner... pour réaliser à la fin du mois qu’on n’a plus d’argent pour le faire. Résultat : on se retrouve avec un taux d’épargne de 2,9 % au Canada actuellement.

Ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai dit, mais c’est difficile de s’enrichir quand on remet 97 % de sa paie aux autres.

Je pourrais vous donner les meilleurs arguments pour l’épargne. Mais si épargner n’est pas facile à mettre en place, j’aurai perdu mon temps (et le vôtre).

Comme l’a dit le Prix Nobel d’économie Richard Thaler : « Premièrement, ne sous-estimez jamais le pouvoir de l’inertie. Deuxièmement, ce pouvoir peut être exploité. »

Pour exploiter l’inertie, l’épargne et l’investissement doivent être des choix par défaut.

Avant de payer les autres (propriétaires de restaurant, de boutique, de société de téléphonie cellulaire, concessionnaires automobiles, etc.), payons-nous nous-mêmes. Après tout, nous sommes plus importants qu’eux. Pourquoi on passerait en dernier ?

La meilleure façon de le faire est de mettre tout ça sur le pilote automatique.

Vous voulez cotiser pleinement à votre CELI cette année ? C’est 17,80 $ par jour. Pour cotiser au REEE d’un enfant afin de recevoir le maximum en subventions de Québec et d’Ottawa, c’est 6,85 $ par enfant par jour.

Si vous avez un compte de courtage, vous pouvez programmer des cotisations préautorisées à vos différents comptes (REER, CELI, REEE, CELIAPP, etc.) tous les 1er du mois, ou chaque jour de paie, ou même chaque jour de la semaine si vous le voulez. Ensuite, quelques fois par année, il vous suffira d’acheter des placements avec l’argent qui s’est accumulé.

Des services d’investissement comme Wealthsimple placent l’argent automatiquement dès qu’il arrive dans le compte d’investissement. Même chose avec l’argent investi par l’entremise d’un représentant en épargne collective.

Le pouvoir de l’inertie est si puissant qu’on peut aussi l’utiliser pour mieux gérer nos placements.

John Bogle, fondateur de la firme de produits financiers Vanguard et créateur du premier fonds indiciel, était un expert de la faillibilité humaine. C’est pourquoi il recommandait aux investisseurs de prendre la voie la plus facile vers l’enrichissement : celle d’investir dans un fonds diversifié chaque jour de paie, pour ensuite l’ignorer complètement.

« Vous allez recevoir un relevé tous les mois, disait-il aux investisseurs. Ne l’ouvrez pas. Ne l’ouvrez jamais. N’y jetez même pas un coup d’œil. »

M. Bogle suggérait aux gens de n’ouvrir leur relevé qu’au premier jour de leur retraite.

« Et assurez-vous d’avoir un cardiologue à portée de main, ajoutait-il. Parce que vous risquez de tomber raide mort ! »

S’enrichir doit être facile. Plus on retire l’humain de l’équation, plus on augmente nos chances d’y arriver.

Tour de France : au cœur du peloton

En plus de viser la facilité, toute entreprise humaine, quand on y pense, cherche à rétrécir le territoire occupé par la douleur. On habite une maison pour se protéger de l’inconfort de la pluie et du vent. On prend sa voiture pour fuir l’effort de la marche. On achète en ligne pour éviter le désagrément du magasinage. Même payer par carte de crédit réduit la douleur de l’achat. C’est pourquoi c’est si déroutant de voir un groupe d’athlètes non pas fuir le territoire de la douleur, mais bien y rester pendant 21 jours. C’est ce qui m’est venu en tête en regardant la nouvelle série documentaire Tour de France : au cœur du peloton, offerte depuis peu sur Netflix. Chutes, larmes, poussière, cris de rage et de joie : la caméra nous fait vivre la course de 2022 du point de vue des coureurs et de leur équipe. Une série captivante qui touche aux limites de l’humain.

La question de la semaine

Avez-vous mis votre épargne sur le pilote automatique ?

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