Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici le dimanche.

J’avais 25 ans, je venais d’être embauché à La Presse, la vie ne pouvait pas aller mieux – j’étais financièrement ignorant, mais je ne m’en rendais pas compte.

J’habitais dans un immense appartement situé sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Au départ, nous étions trois amis à y vivre. Mes amis ont fini par partir habiter chacun de leur côté, et j’ai décidé de garder l’appartement pour moi.

« Je peux me le permettre ; mon salaire est suffisant pour payer le loyer et l’électricité », me suis-je dit. Le soir, il m’arrivait de parcourir les pièces de mon appartement un peu comme un baron arpente son domaine.

Si j’avais eu à noter mes finances à cette époque, je me serais sans doute donné un A+ parce que je n’avais aucune dette.

Avec le recul, c’est plus un C- que je m’attribuerais.

J’épargnais et investissais 225 $ par mois dans un REER à cette époque. À chaque relevé de placements, j’étais curieux de voir si le marché m’avait rendu plus riche.

Chaque fois, j’étais déçu. Au-delà de mes cotisations, mes placements ne prenaient presque pas de valeur.

Ce que personne ne m’avait expliqué, c’est que quand on commence sur le chemin de l’investissement, le marché boursier ne peut pas faire grand-chose pour nous.

Le milliardaire autoréalisé américain Charlie Munger a déjà dit : « Les premiers 100 000 $ sont emmerdants, mais il faut le faire. Peu importe ce que vous devez faire – si cela signifie vous déplacer partout à pied et ne rien manger qui n’ait été acheté avec un bon de réduction, trouvez un moyen de mettre la main sur 100 000 $. Après ça, vous pourrez relâcher un peu l’accélérateur. »

Partir de zéro est difficile parce que presque chaque dollar provient de notre épargne. C’est un peu comme essayer d’allumer un feu. Notre première tâche est de ramasser le plus de bois sec possible, pas de regarder un bout de bois en s’attendant à qu’il se mette spontanément à nous réchauffer.

Par exemple, une personne avec 10 000 $ dans son compte d’investissement se retrouvera avec 11 000 $ au bout d’un an si le marché grimpe de 10 %. C’est mieux que rien, mais ce n’est pas avec ces 1000 $ de plus qu’on a l’impression de s’enrichir.

Mais ajouter 6000 $ d’épargne à des investissements de 10 000 $ les fait automatiquement grimper de 60 %. Aucun placement ne peut assurer un tel rendement.

Après des années d’épargne, lorsque nos investissements finissent par dépasser les 100 000 $, quelque chose de magique commence à se produire. Le marché boursier réalise qu’on existe. Il décroche le cordon de velours et nous autorise à entrer dans l’antre des intérêts composés.

Le terme « intérêt composé » veut tout simplement dire que le marché fait croître nos placements, et que cette croissance se met elle aussi à croître, provoquant un effet de levier. C’est cet effet de levier qui nous enrichit à long terme.

Par exemple, on peut ajouter 10 000 $ à nos placements de 100 000 $ durant une année. En parallèle, le marché peut faire croître nos placements de 10 000 $ cette année-là. On est rendu à 120 000 $.

Avec le temps, épargner est de moins en moins nécessaire. Ajouter 10 000 $ à des placements de 500 000 $ les fait grimper de 2 %. Mais, avec un rendement de 10 %, le marché peut à lui seul ajouter 50 000 $ à nos placements cette année-là. À 1 million de dollars, le marché peut nous enrichir de 100 000 $ en un an, soit 10 fois notre épargne.

Mes exemples sont linéaires – ce n’est bien sûr pas comme ça que les marchés se comportent. Les rendements boursiers tournent autour de 9 % par année au Canada et de 11 % par année aux États-Unis depuis un demi-siècle. Mais c’est une moyenne. Le marché ne fait pratiquement jamais 9 ou 11 % : une année, il peut gagner 30 %, en perdre 18 % l’année suivante, grimper de 15 % l’année qui suit… Personne ne s’enrichit en ligne droite.

C’est pour ça que les illuminés comme moi répètent aux jeunes qui commencent sur le marché du travail de ne pas tomber dans le piège d’augmenter leur train de vie (changer de véhicule, nouveau logement, magasinage en ligne, etc.) et plutôt d’épargner et d’investir une partie de leurs revenus.

Par exemple, 500 $ par mois investis dans un portefeuille diversifié composé à 80 % d’actions et à 20 % d’obligations (par exemple, les fonds VGRO de Vanguard ou ZGRO de BMO) depuis 10 ans valent près de 100 000 $ aujourd’hui. Et si ce rendement et cette épargne devaient se poursuivre, ce portefeuille pourrait hypothétiquement valoir plus de 300 000 $ dans 10 ans.

À 1000 $ par mois en épargne, on en serait à 600 000 $ d’investissements au bout de 20 ans, selon les rendements historiques. Et, à 1500 $ par mois (pas accessible à tous, mais en couple, ça fait 25 $ chacun par jour), on frôlerait le million de dollars en deux décennies.

Prendre une année sabbatique, faire un changement de carrière ou travailler à temps partiel devient pas mal plus accessible quand on a 600 000 ou 1 million d’employés qui travaillent pour nous dans les coulisses…

Mais, au départ, on ne s’en sort pas : il faut bûcher pour accumuler les premiers 100 000 $.

Si seulement on pouvait nous enseigner ça à l’école...

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