Réserver une table pourrait-il devenir chose du passé ? Chose certaine, les clients qui n’honorent pas leur réservation coûtent cher aux restaurateurs. Communément appelé no-show, le fléau entraîne en moyenne des pertes annuelles de près de 50 000 $ pour les établissements qui y sont confrontés.

Pour un restaurant franchisé, les sommes perdues sont évaluées à environ 62 000 $, alors que pour un restaurant indépendant elles atteindraient 43 000 $. Près de 65,6 % des restaurateurs affirment que le nombre de tables laissées vides par des clients qui leur posent un lapin est en constante augmentation, révèlent les résultats d’une enquête menée par l’Association Restauration Québec (ARQ).

En raison de l’ampleur de fléau, l’ARQ a sondé ses membres en janvier afin de pouvoir chiffrer les pertes financières causées par les réservations non honorées. Une première. Il s’agit des rares données disponibles sur le sujet, confirme Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’ARQ. La Presse a pu consulter les résultats de cette enquête intitulée Le no show et l’industrie de la restauration.

À la lumière de ces données, l’Association souhaite avoir un argument de plus pour convaincre le gouvernement de permettre aux restaurateurs de faire payer des pénalités aux clients récalcitrants. Elle se questionne dans la foulée sur la survie du modèle classique des réservations.

« Dans l’éventualité où le nombre de réservations non honorées continuerait de croître, il est fort probable que le nombre de restaurants qui acceptent les réservations viendrait à diminuer », peut-on lire dans le bulletin ARQ Stats, destiné aux membres. Ainsi, des établissements ont décidé par exemple de ne plus accueillir de groupes, d’autres au contraire acceptent seulement les réservations pour les tables composées de six convives et plus.

Le modèle de réservation tient toujours. Mais oui, il se pourrait que certains établissements réfléchissent à l’idée de continuer ou non à prendre des réservations. On voit de plus en plus différents modèles. Ça crée des changements dans la gestion des réservations.

Martin Vézina

Pour le moment, il est toujours possible pour les clients de réserver une table dans 94 % des établissements du Québec. Parmi ceux qui refusent de le faire, 66,7 % ont pris cette décision afin d’éviter d’être confrontés à des cas de no-show.

Changer les règles du jeu

S’ils ne sont pas prêts à fermer leur carnet de réservations de façon définitive, certains restaurateurs ont de leur côté revu les règles du jeu dans la façon dont ils accueillent leurs clients. À Chambly, au restaurant La cochonne rit, on se dit « prudents » avec les groupes de 10 personnes et plus, admet le gérant Philippe Michaud.

« Des groupes très volumineux, c’est très accaparant, souligne-t-il. Souvent, ils arrivent, ils sont plus nombreux que prévu ou encore moins nombreux que prévu. Des fois, ils annulent à la dernière minute, des fois, ils ne se présentent pas. »

« Plutôt que d’hypothéquer une soirée au complet avec des groupes, on préfère garder de la place pour nos clients réguliers. C’est vraiment à eux qu’on veut donner la priorité. On veut être certains qu’il reste de la place pour nos clients réguliers qui viennent nous voir toutes les semaines. »

Du côté de Satay Brothers, rue Notre-Dame à Montréal, seuls les groupes comptant six personnes ou plus peuvent réserver. Pour les tables plus restreintes, on fonctionne selon le principe du premier arrivé, premier servi, explique le copropriétaire Alex Winnicki.

« Les gens sont souvent en retard pour leur réservation, souligne-t-il également. Si, chaque fois que nous avions des tables ouvertes, on devait attendre après deux personnes qui ont réservé alors que pendant ce temps il y a des gens qui se présentent à la porte et qui sont prêts à manger, ça deviendrait difficile à gérer. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Alex Winnicki, copropriétaire de Satay Brothers

« On aime garder pas mal de tables ouvertes », dit-il, tout en qualifiant cette façon de faire de « système à deux vitesses ».

« Je crois que tout le monde en restauration aimerait revoir un peu le modèle de réservation, surtout pour pouvoir se protéger. Mais la prise de réservation, c’est quand même nécessaire. Il y a beaucoup de restaurateurs qui vont vouloir prendre des réservations pour s’assurer d’un minimum de clients. »

L’ARQ partage le même point de vue : la réservation demeure le meilleur outil de gestion des employés et des denrées. Voilà pourquoi elle milite pour « avoir un cadre juridique permettant d’imposer une pénalité quand un client ne se présente pas à sa réservation ». Cette amende serait d’environ 20 $. Pour le moment, la loi ne permet pas aux restaurateurs d’imposer ce genre de pénalité.

« Ce qui est interdit, c’est de fixer à l’avance [par écrit ou verbalement] un montant qui serait dû si le client n’honore pas le contrat », expliquait à La Presse, il y a quelques mois, Charles Tanguay, porte-parole de l’Office de la protection du consommateur (OPC). « L’un des principes de droit à la base de l’article 13 est que nul n’est censé se faire justice soi-même, qu’on ne peut pas arbitrairement fixer soi-même le montant d’un dommage éventuel », ajoute-t-il.

Des rencontres ont eu lieu depuis janvier entre l’ARQ et l’OPC. « Le dossier est à l’étude, mais il y a une ouverture à prendre en considération notre solution, qui pourrait prendre la forme d’une loi ou règlement », indique Martin Vézina. Ce dernier soutient que le dossier pourrait se régler d’ici la fin de l’année.

Pendant ce temps, les restaurateurs multiplient les stratégies pour éviter que les clients leur fassent faux bond. Certains vont même jusqu’à dresser une liste noire de gens reconnus pour ne pas honorer leurs réservations. D’autres, comme ce fut le cas avec le restaurant Les vilains garçons, dénoncent publiquement sur Facebook le fait qu’un client ne se soit pas pointé, rapportait le quotidien Le Droit en février. Des établissements exigent pour leur part un numéro de carte de crédit et facturent des frais si le client ne se présente pas. Une pratique pourtant illégale, du moins pour le moment.

« [Ce que l’on propose], c’est une solution qui est simple et qui va peut-être éviter les débordements », soutient Martin Vézina.

Réservations non honorées

Quelques chiffres

32,9 %

Proportion de restaurateurs fréquemment confrontés au fléau

44,5 %

Proportion de restaurateurs qui y sont confrontés à l’occasion

2,8 %

Proportion de restaurateurs qui ne font jamais face à des cas de no-show

65,6 %

Proportion de répondants qui affirment que le phénomène est en augmentation

Pertes financières hebdomadaires engendrées par les réservations non honorées

Bar offrant de la nourriture : 595 $

Restaurant dans un hôtel : 1150 $

Franchise : 1196 $

Restaurant indépendant : 832 $

Moyenne générale : 943 $

Source : Association Restauration Québec