Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici les dimanches.

Pendant longtemps, j’ai cru que la chouette du mont Royal était une légende urbaine.

Je passais en ski de fond devant un grand arbre où la rumeur voulait que loge une chouette rayée. À cinq ou six mètres du sol, je pouvais voir dans l’arbre une cavité noire et profonde qui semblait sortir tout droit des pages d’un conte pour enfants. En théorie, me disais-je, une chouette pourrait y loger.

En pratique, il n’y avait pas de chouette. J’ai skié des dizaines de fois devant l’arbre. Chaque fois, la cavité était vide.

C’était même devenu une blague dans ma famille quand on passait par là. « Oui, papa, on le sait. C’est le trou de la chouette, mais il n’y a pas de chouette. »

Je skiais avec mon ami Laurent pendant une tempête de neige le mois dernier quand on est arrivés devant l’arbre. Par habitude, j’ai tourné la tête vers le trou de la chouette.

La chouette y était ! On aurait même dit qu’elle souriait.

En une seconde, on est passés de la légende urbaine à la réalité.

Risqués, les fonds ?

La chouette du mont Royal m’est revenue en tête la semaine dernière, lorsque la question du passage de la théorie à la réalité a surgi dans l’actualité.

On sait tous que la défaillance d’une grande banque américaine est possible. Mais on n’a pas vu ça souvent, pas depuis le krach de 2008-2009 qui a poussé le système bancaire mondial jusqu’à son point de rupture.

Une banque peut être victime d’une ruée, quand un grand nombre de clients perdent confiance et décident de retirer leur argent en même temps (les anciennes banques avaient de grands halls d’entrée pour éviter qu’une file se forme sur le trottoir et fasse peur à tout le monde).

C’est ce qui s’est produit lorsque le gouvernement américain a dû sauver la Silicon Valley Bank, la 16e banque en importance aux États-Unis, la fin de semaine dernière.

Durant 39 ans, 3 mois et 4 semaines bien exactement, les clients de cette banque californienne ont mené leur vie comme ils l’entendaient. Puis, en une journée, ils ont été émotionnellement catapultés dans un état de stress extrême, se demandant comment leur entreprise et leur famille allaient survivre sans argent.

Et des millions d’investisseurs autour du monde se sont demandé si le système bancaire mondial était menacé.

Tout d’un coup, des questions théoriques liées à la sécurité de nos placements en cas de catastrophe ne semblaient pas si théoriques que ça.

« Je me demande s’il existe des risques à placer de l’argent dans de grands fonds aux États-Unis ou au Canada, m’écrit Éric. Ce n’est pas très sexy comme sujet, mais ça aurait le mérite d’en rassurer plusieurs (dont moi-même). »

Alors, faut-il avoir peur ?

La réponse courte : non.

La réponse longue : les fonds dans lesquels nous investissons sont fortement protégés.

Le Canada, un modèle

« L’industrie canadienne est l’une des mieux structurées au monde, dit Richard Morin, président d’Archer gestion de portefeuille, à Montréal. Même qu’on sert de modèle à l’international. »

Chaque fonds commun de placement, ce qui inclut les fonds négociés en Bourse (FNB), est une personne morale (souvent appelée « entité légale ») – une fiducie ou une division d’une fiducie – qui est distincte du promoteur ou du gestionnaire du fonds.

« Par exemple, en tant que gardien de valeur, State Street Canada détient les actifs des FNB BMO, Vanguard et Blackrock, dit Richard Morin. C’est un scénario extrêmement peu probable, mais la faillite d’un de ces promoteurs ne mettrait pas les actifs de ces fonds à risque. »

Ian Gascon, président et fondateur de Placements Idema à Montréal, abonde dans le même sens.

Le fonds est une entité légale distincte du gestionnaire du fonds. Donc le gestionnaire, même s’il fait faillite, peu importe, l’entité légale qui détient les actifs demeure viable. Les actifs qu’elle détient, elle les détient toujours.

Ian Gascon, président et fondateur de Placements Idema

Des lecteurs m’ont parfois écrit pour me dire qu’ils investissaient dans deux fonds très similaires, l’un chez BMO et l’un chez Vanguard, par exemple, dans le but de ne pas tout mettre dans un même fonds.

« Compte tenu de la structure des fonds, un tel geste ne présente aucune protection additionnelle, dit Ian Gascon, qui est aussi l’auteur du blogue Les FNB démystifiés, du journal Les Affaires. Il n’y a pas d’avantages à faire ça. Ça ne vaut pas la peine de dédoubler nos placements. »

Dans le cas de la faillite de son courtier, soit l’entreprise avec laquelle on fait affaire pour détenir, acheter et vendre des fonds, le client est couvert par le Fonds canadien de protection des épargnants (FCPE) à hauteur de 1 million de dollars par type de compte détenu, note Richard Morin.

« Par exemple, le FCPE couvre jusqu’à 1 million pour les comptes non enregistrés et le compte d’épargne libre d’impôt (CELI), 1 million pour les régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER), fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) et autres, et 1 million pour les régimes enregistrés d’épargne-études (REEE). »

Quant aux comptes bancaires, la Société d’assurance-dépôts du Canada (SADC) protège jusqu’à 100 000 $ dans un compte-chèques dans le cas de la faillite extrêmement peu probable d’une grande banque.

Ceux qui détiennent des placements aux États-Unis sont aussi protégés. Le Securities Investor Protection Act (SIPA) offre une protection de 500 000 $ US sur l’argent et les actifs par type de compte détenu d’une société de courtage. Dans la quasi-totalité des cas, lorsqu’une société de courtage cesse ses activités, les actifs des clients sont tout simplement transférés à une autre société de courtage.

Finalement, le plus grand risque pour les investisseurs est de vendre lorsque l’on croit que le marché va baisser, pour ensuite acheter lorsque l’on croit qu’il va monter. Amener cet élément « viscéral » fait assurément diminuer nos rendements par rapport à la personne qui ne prête pas attention à ce que font les marchés.

Bref, le plus grand risque pour la sécurité de nos placements ne vient pas d’un évènement mondial, mais plutôt de la personne que l’on voit lorsqu’on regarde dans un miroir.

La question de la semaine

Craignez-vous pour la sécurité de vos placements ?

Écrivez à Nicolas
Recevez en primeur chaque mardi l’infolettre L’argent et le bonheur