Les grèves dans les usines de Cargill à Guelph et possiblement à Calgary révèlent une profonde vulnérabilité de l’industrie du bœuf au Canada, allant de la forte dépendance à quelques grandes installations aux défis des mauvaises conditions de travail. Alors que le prix du bœuf monte en flèche et que la consommation diminue, le secteur fait face à un besoin urgent de modernisation et d’investissement.

Près d’un millier de travailleurs de Cargill à Guelph font la grève depuis le 26 mai. L’usine de Guelph est l’une des plus grandes installations de transformation de bœuf au pays, et la plus importante dans l’est du Canada. En outre, l’usine Cargill Case Ready à Calgary pourrait également voir ses travailleurs brandir les piquets de grève au cours du mois. Les conflits de travail dans la transformation du bœuf ne datent pas d’hier et la pandémie a mis en lumière le côté sombre des conditions de travail dans ce secteur. De manière générale, l’industrie du bœuf a vraiment de sérieux problèmes.

Seule la grande usine de transformation de Guelph a la capacité d’exporter et d’expédier le bœuf en dehors de la province. Si la grève se prolonge au-delà de quelques semaines, les consommateurs de l’est du Canada, y compris ceux du Québec, pourraient trouver du bœuf importé des États-Unis ou même du Mexique dans les comptoirs de viandes. Tout cela pourrait favoriser Bœuf Québec, sans pour autant faire grimper les prix de la viande, car ils sont déjà assez élevés.

La grève potentielle à l’usine de Calgary pourrait également perturber le marché du bœuf dans de nombreuses régions du pays. La viande est acheminée de la principale installation de transformation de bœuf de Cargill à High River, puis transportée à Calgary, où les travailleurs la découpent, la pèsent et l’emballent. Les produits emballés sont expédiés et distribués le même jour. L’effet domino créé par une usine de Calgary à l’arrêt aurait des conséquences majeures.

Le Canada produit un excellent bœuf, mais la transformation a toujours constitué son maillon faible. Seulement trois grandes usines transforment environ 90 % de tout le bœuf élevé au pays. Ces usines dépendent fortement des travailleurs étrangers, car le recrutement reste toujours très ardu en raison des conditions de travail difficiles.

Le changement climatique et les complexités affectant les chaînes d’approvisionnement ont lentement fait du bœuf un produit de luxe à l’épicerie. En raison des sécheresses affectant les stocks aux États-Unis et au Canada, certaines coupes de bœuf ont augmenté de près de 50 % depuis le début de 2020. Les prix ont connu une volatilité incroyable. Le bœuf haché, reconnu pour la stabilité de son prix et son abordabilité, a augmenté de 11 %, selon Statistique Canada. Avec ces augmentations de prix importantes, la consommation de bœuf diminue considérablement. Chaque consommateur devrait manger moins de 24 kg de bœuf en 2024, le niveau le plus bas depuis près de 50 ans. Cette baisse atteint 38,4 % depuis 1980, et la plupart des experts s’attendent à ce que cette tendance se poursuive.

Bizarrement, malgré son statut de luxe, la chaîne de valeur du bœuf a toujours été gérée avec une grande frugalité. Pour le porc et le poulet, le secteur de la transformation a profité de beaucoup plus d’investissements en capital et en automatisation. De nouvelles usines ont vu le jour à Hamilton, à London et dans d’autres villes au pays. Toutefois, l’industrie du bœuf n’a pas vu naître de nouvelles usines depuis des années, ce qui rend très difficile la conformité aux récentes réglementations de sécurité alimentaire et d’environnement de travail.

Cela ne revient pas à dire que la transformation du bœuf est dominée par des acteurs sous-financés. Prenons l’exemple de Cargill, une société américaine privée ayant 159 ans d’histoire, qui a généré des revenus annuels dépassant 170 milliards de dollars en 2023. Les bénéfices nets, cependant, restaient inférieurs à 4 milliards de dollars, démontrant à quel point les marges bénéficiaires demeurent faibles dans l’industrie alimentaire. Cargill emploie au-delà de 160 000 personnes dans plus de 70 pays. JBS, une entreprise étrangère de taille massive, contrôle l’autre usine agréée par le gouvernement fédéral en Alberta.

Ces perturbations du travail pointent vers un problème beaucoup plus large. Chaque fois qu’une usine ferme, pour une raison ou une autre, les producteurs de bœuf se retrouvent pris en otages sans compensation tandis que les prix de détail augmentent. Quant aux travailleurs en grève, on peut difficilement les blâmer, car ils savent que peu d’autres gens voudraient faire le travail, alors pourquoi ne pas demander un meilleur salaire ? À moins que l’automatisation ne prenne un rôle plus important dans la transformation du bœuf, l’industrie continuera d’exploiter des usines archaïques dignes des années 1980.