Le transport collectif est en crise, c’est connu, alors que les déplacements en auto ont essentiellement retrouvé les volumes d’avant la pandémie. Mais qu’en est-il du transport aérien ?

D’abord, ai-je découvert, les Canadiens ne sont pas aussi nombreux qu’avant la pandémie à franchir nos frontières en avion, selon les données de Statistique Canada que j’ai décortiquées.

Mais, surprise, le Québec fait exception, étant la seule des quatre grandes provinces à voir ses résidants voyager davantage qu’avant la pandémie.

La chose surprend quand on sait l’importance que les Québécois accordent à l’environnement, et sachant l’impact des vols sur les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Attention, les chiffres sont gros.

En 2023, donc, 20,7 millions de touristes canadiens ont pris l’avion vers d’autres pays, alors qu’ils avaient été 22,4 millions en 2019. Le taux de récupération postpandémique est donc de 93 %.

Pendant ce temps, au Québec, les 4,7 millions de voyageurs transfrontaliers en 2023 représentent un taux de récupération de 109 % par rapport à 2019. Notez qu’une personne qui fait deux voyages dans une année représente deux touristes dans ce calcul.

Bref, les passagers de vols transfrontaliers sont plus nombreux que jamais au Québec, ce qui n’est pas le cas ailleurs au Canada⁠1.

Statistique Canada obtient ses données de l’Agence des services frontaliers du Canada. Elles sont tirées des déclarations des voyageurs dans chacun des grands aéroports aux fameuses bornes d’inspection primaires (BIP)⁠2.

En comparaison, le taux de récupération de l’achalandage du transport collectif est bien moindre, selon des données de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) obtenues par La Presse2.

En 2023, le métro de Montréal avait récupéré 79 % de son achalandage de 2019, contre 86 % pour les autobus. Ce sont les trains de banlieue qui sont les plus à plaindre (48 %), probablement en raison des effets plus grands du télétravail sur les travailleurs éloignés du centre.

La circulation automobile en 2023 avait aussi repris l’essentiel des pertes. Le taux de récupération est plus grand quand on s’éloigne du centre et inversement.

Bref, pendant que le transport collectif est en crise, notamment en raison du télétravail, le transport aérien se porte très bien au Québec.

Ces dernières années, les voyages en avion ont d’ailleurs crû fortement, si l’on exclut la période pandémique. Le nombre de touristes canadiens qui ont traversé nos frontières en avion a augmenté de 32 % depuis 2010.

Cette croissance sur 13 ans est de 52 % au Québec (3,3 % par année). Et depuis trois ans, la proportion de Québécois qui ont traversé les frontières en avion (22,7 % du total canadien) a même dépassé le poids du Québec dans la population canadienne (22,1 %).

Autre renseignement intéressant : les destinations des Québécois diffèrent passablement de celles des autres Canadiens, selon ce qu’on peut conclure des données de Statistique Canada. Les États-Unis attirent 29 % des voyageurs du Québec et le reste du monde, 71 %. Ailleurs au Canada, c’est plutôt moitié-moitié, environ⁠3.

L’équivalent de 2 millions de voitures

Pour l’environnement, on s’entend, le boom des voyages en avion n’est guère réjouissant.

Un voyage aller-retour Paris-Montréal émet environ 2 tonnes de GES par passager, par exemple. Connaissant les types de voyages chéris par les Québécois (29 % aux États-Unis et 71 % ailleurs), on peut raisonnablement estimer les émissions moyennes de GES d’un voyage à environ 1,2 tonne.

Autrement dit, les 4,7 millions de voyageurs du Québec ont émis environ 5,7 millions de tonnes de GES en 2023 pour leurs trajets hors Canada.

C’est beaucoup, beaucoup de GES. C’est l’équivalent de 2 millions de voitures, soit 40 % du parc de véhicules personnels du Québec. Et le boom depuis 2010 représente quelque 650 000 voitures de plus sur nos routes. Oupelaye…

Malheureusement, l’impact de ces escapades à l’étranger sur l’environnement n’est pas inclus dans le bilan des émissions de GES du Québec ou du Canada, ni dans celui d’aucun autre pays, d’ailleurs. Personne n’en est vraiment responsable. N’est-ce pas incroyable ?

Pourtant, si ces tonnes de carbone étaient incluses dans le bilan du Québec, par exemple, il rehausserait nos émissions de 7 %, selon mes estimations. Ces chiffres sont des ordres de grandeur, bien sûr, mais ils démontrent l’importance du phénomène.

Maintenant, sachant que le transport collectif, en crise, est vu comme une solution au réchauffement, mais que le transport aérien, en forte croissance, le nourrit, ne devrait-on pas puiser dans les poches du premier pour financer le second ?

Ou encore puiser dans les poches des touristes aériens pour financer l’adaptation aux changements climatiques ?

Ce pourrait être une taxe sur les billets d’avion vouée aux problématiques du climat, par exemple. Je sais, personne n’aime les taxes, mais peut-on faire autrement ? Et quoi qu’il en soit, la démonstration porte à réfléchir, en tant que consommateur.

Tous adorent voyager, notamment les jeunes, mais pouvons-nous envisager, chacun, de diminuer la fréquence de nos déplacements en avion ? Nous donner pour cible de les réduire de moitié, disons, puis d’une autre moitié d’ici 2030. Ou encore d’espacer nos escapades, que ce soit en Floride, à Cancún, à Paris ou ailleurs ?

1. Le taux au Québec est même passé à 111 % au premier trimestre de 2024, soit 16 points au-dessus de la moyenne canadienne (96 %). Notez que les voyages d’affaires et de congrès représentent moins de 10 % de ce volume, selon la base de données 24-10-0045-01, tant avant qu’après la pandémie.

2. Le volume de voyageurs canadiens transfrontaliers en avion se fait en estimant le nombre de personnes qui déclarent revenir au pays aux bornes BIP. Le tri obtenu par Statistique Canada ne permet pas de savoir spécifiquement la province de résidence, seulement la province de l’aéroport de retour, mais les données sont une bonne estimation de la province de résidence. Il est possible que certains Canadiens d’autres provinces entrent à Montréal pour ensuite se déplacer en voiture dans une autre province, et inversement. En revanche, les voyageurs qui arrivent par l’aéroport de Montréal et qui reprennent un autre avion vers une autre destination sans sortir de l’aéroport sont exclus des données.

3. Difficile de bien savoir à quel point la différence peut s’expliquer par les lieux d’escale des voyageurs, plutôt que leur point de départ.