Vous en entendez de plus en plus parler. Même Paul Desmarais fils, habituellement avare de commentaires, a fait part de son inquiétude à ce sujet lors de l’assemblée annuelle de Power Corporation, exhortant les parties prenantes à réagir.

Le sujet de préoccupation ? La productivité des entreprises, soit leur produit intérieur brut (PIB) par heure travaillée. Il s’agit de l’indicateur phare de l’évolution de notre niveau de vie, qui est principalement influencé à long terme par les investissements des entreprises et leur capacité à innover.

Mardi, Statistique Canada indiquait que la productivité des entreprises s’est effondrée en 2023 dans la plupart des provinces. L’un des sous-secteurs responsables est la construction.

Pour l’ensemble du Canada, la productivité a reculé de 2,2 % en 2023, atteignant 59,10 $ par heure travaillée (en dollars constants de 2017). Il s’agit de la plus forte baisse depuis 25 ans – si l’on exclut le phénomène post-COVID-19 de 2021 –, soit depuis que Statistique Canada tient la même base de données à ce sujet.

Au Québec, la productivité a reculé de 2,7 % en 2023. En Ontario et en Alberta, les baisses respectives sont de 2,3 % et 2,2 %. La Colombie-Britannique est la seule à s’en tirer pas trop mal, avec un recul de seulement 0,3 %. Ouch !

Le ralentissement économique de 2023, visiblement, a eu un impact sur cette productivité.

Pourquoi ? Parce que bon nombre d’entreprises ont vu chuter leurs revenus réels en 2023, sans toutefois diminuer proportionnellement leur volume de main-d’œuvre, vu la pénurie qui sévit. On a probablement préféré garder son personnel dans l’attente d’une reprise.

Pour mieux voir les tendances de fond, il est préférable de comparer la productivité de 2023 avec celle d’avant la pandémie, soit 2019. Cette comparaison permet de retrancher les chocs économiques temporaires provoqués par la COVID-19.

Or, à cet égard, le Québec fait moins mauvaise figure que la plupart des autres provinces.

Depuis quatre ans, donc, la productivité s’est accrue de 2,2 % au Québec, atteignant 55 $ par heure travaillée. Pendant ce temps, elle reculait de 1,4 % en Ontario et de 3 % en Alberta ⁠1.

La performance du Québec sur cette période est particulièrement réjouissante dans le secteur des services, note le directeur adjoint du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal, Jonathan Deslauriers.

Le bond sur quatre ans est de 6,8 %, comparativement à 0,7 % en Ontario. Le secteur des services compte pour environ 70 % de l’économie.

En revanche, c’est l’horreur pour les entreprises productrices de biens. La productivité y a chuté de 6,3 % depuis 2019, au Québec comme en Ontario. Et l’essentiel de cette baisse au Québec vient de la construction (-13,5 %).

« C’est énorme. La productivité s’est effondrée dans la production de biens. Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte, mais la forte inflation est probablement le facteur le plus important. Les salaires ont augmenté plus rapidement que la production de biens », explique M. Deslauriers, économiste.

Dans la construction, la rémunération totale par heure travaillée a bondi de près de 24 % au Québec depuis quatre ans. Et en 2023, c’est au Québec que cette rémunération est la plus élevée au Canada, avec une moyenne de 51,56 $ par heure travaillée.

L’enjeu de la productivité est d’autant plus important que l’on compte sur elle pour accroître notre richesse, augmenter les recettes de l’État et financer nos services publics.

Depuis 25 ans, la croissance de la productivité des entreprises a été de 1,2 % par année en moyenne, au Québec comme au Canada. À très long terme, cette hausse avoisine plutôt 1,0 %, alors que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont à 1,5 % et la France, à 1,4 %.

Attendez-vous donc à d’autres interventions comme celle de Paul Desmarais fils.

1. Les comparaisons du niveau absolu de la productivité entre les provinces, en dollars par heure travaillée, sont difficiles à faire, vu les prix qui diffèrent d’une province à l’autre.