(Ottawa) Après la pléthore d’annonces des dernières semaines, on s’attendait à un boom du déficit fédéral, littéralement. Or, ce n’est pas le cas, le déficit de Chrystia Freeland reste stable à « seulement » 40 milliards de dollars.

Comment diable la ministre des Finances a-t-elle bien pu stabiliser son déficit malgré l’avalanche de nouvelles dépenses ? Oui, d’accord, certaines sont étalées sur plusieurs années ou reportées aux prochains exercices, comme celles pour équiper l’armée. Mais sinon ?

Essentiellement, Mme Freeland y parvient grâce à deux sources : de nouveaux impôts prélevés auprès des « riches » sur leur gain en capital, d’une part, et des rentrées fiscales plus généreuses grâce à l’absence de récession, d’autre part.

Ne cherchez pas les grosses compressions de dépenses. La ministre prévoit réduire la fonction publique, certes, mais ce sera seulement à partir de l’an prochain, et encore, d’un maigre 1,4 % sur quatre ans, par attrition. Cette année, son niveau de dépenses atteint 17,9 % du PIB, un sommet inégalé depuis 28 ans, exclusion faite des deux années pandémiques.

Plus précisément, le budget ajoute 11,6 milliards de nouvelles dépenses à l’année courante (2024-2025). Il y a de l’argent pour les autochtones (3,0 milliards), pour le logement (1,6 milliard), pour les prêts et bourses aux étudiants (1,1 milliard), pour stimuler la productivité (1,1 milliard) et pour subventionner les véhicules électriques (0,6 milliard), entre autres.

Ces nouvelles dépenses, elles sont financées en 2024-2025 par le nouvel impôt sur le gain en capital (6,9 milliards) et par des recettes fiscales plus généreuses (3,9 milliards) que lui offre une économie plus favorable, essentiellement.

Bref, le déficit 2024-2025, qu’on prévoyait de 38,4 milliards l’automne dernier, atteindra plutôt 39,8 milliards. Il restera au même niveau l’an prochain avant de reculer progressivement à 20 milliards d’ici quatre ans… si l’on se fie aux prévisions du budget.

La ministre a joué d’astuce pour gonfler d’un coup ses recettes de 6,9 milliards avec la majoration de l’impôt sur le gain en capital.

Comment ? En incitant les contribuables visés par la mesure – particuliers et entreprises – à précipiter les transactions avant le 25 juin prochain pour que seulement 50 % de leur gain en capital soit imposé plutôt que 66,7 %. Ce genre de gain touche autant les actions en Bourse que les chalets ou les immeubles à revenus1.

Cet échéancier serré pourrait doubler le volume habituel de transactions chez les particuliers d’ici la fin juin, estime le fiscaliste Stéphane Leblanc, de Ernst & Young. D’autant plus si les provinces, comme c’est toujours le cas, harmonisent leurs propres mesures avec le fédéral.

En passant, cette harmonisation pourrait permettre au ministre Eric Girard, à Québec, d’empocher environ 1 milliard et de dégonfler d’autant son propre déficit, estimé à 11 milliards… S’y attendait-il ?

Depuis 24 ans, rappelons-le, seulement 50 % du gain en capital des particuliers et des sociétés est imposé au Canada, comparativement à 100 % pour les revenus de travail. Historiquement, cet avantage a été accordé au gain en capital pour encourager l’investissement et l’économie, d’une part, et pour compenser les effets de l’inflation sur les investissements, d’autre part.

La ministre Freeland juge que son nouvel impôt est équitable. D’une part, il ne vise que 40 000 particuliers canadiens par année et 12,6 % des entreprises, selon le budget. Ces entreprises sont souvent des sociétés de portefeuille détenues par des professionnels (médecins, avocats, etc.), dans lesquels s’accumulent des revenus passifs.

D’autre part, les inégalités de patrimoine, que touche le gain en capital, sont plus importantes que celui des revenus. Au Canada, les 1 % plus riches empochent 13,4 % des revenus, mais possèdent 24,9 % du patrimoine.

Les détracteurs diront que cette mesure est utilisée in extremis par Freeland pour amoindrir son déficit, puisqu’elle est incapable de faire le ménage de ses dépenses. La mesure nuira à la productivité, selon certains, créant un climat peu propice à l’investissement.

Pour faire taire ce discours, Mme Freeland vient en même temps alléger l’impôt sur le gain en capital des entrepreneurs, ce qui est habile. Cette mesure parallèle coûte toutefois 10 fois moins cher que ce que rapporte la hausse du taux d’inclusion à 66,7 %…

Hors de contrôle, les finances d’Ottawa ? Pas si l’on se fie aux cibles précises fixées l’automne dernier, lors de l’énoncé économique, et que réclamaient la plupart des experts.

Selon cet ancrage budgétaire, le déficit de l’année qui s’est terminée le 31 mars 2024 ne devait pas dépasser 40,1 milliards. Et par la suite, le déficit exprimé en pourcentage du PIB devait reculer jusqu’à tomber sous la barre de 1 % du PIB en 2026-2027, dans deux ans.

Or, les chiffres présentés mardi laissent croire que ces cibles seront atteintes. D’abord, le déficit de 2023-2024 est de 40 milliards (1,4 % du PIB), un cheveu sous les 40,1 milliards maximum promis.

Et par la suite, le déficit passe progressivement du 1,3 % du PIB à 0,9 % du PIB dans deux ans et à 0,6 % du PIB dans quatre ans… si l’on se fie aux prévisions du budget.

Pour ceux qui s’inquiètent, sachez que le budget prévoit que la croissance économique au Canada ne sera que de 0,7 % en 2024 et de 1,9 % en 2025, après inflation, ce qui est conforme aux prévisions du secteur privé. Or, tout récemment, la sévère Banque du Canada a redressé ses prévisions à 1,5 % en 2024 et 2,2 % en 2025.

Espérons que le gouvernement fédéral utilisera cette possible marge de manœuvre pour équilibrer ses budgets… mais permettez que j’en doute ?

1– Pour les particuliers, sachez que ce n’est pas la totalité du gain en capital qui sera imposé à 66,7 % à partir du 25 juin, mais seulement la part des gains qui excède 250 000 $. Cela dit, pour les particuliers comme pour les entreprises, le gain qui sera imposé aux deux tiers le sera que l’investissement ait été fait en 2005 comme en 2023.