De Warwick à Drummondville, la poutine a émergé comme un symbole culinaire québécois. Avec ses 60 ans d’histoire et son succès mondial, elle mérite une place au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

La poutine célèbre ses 60 ans cette année. Telle que nous la connaissons, elle a été créée en 1964 par le maître saucier de formation Jean-Paul Roy, à Drummondville. La combinaison de frites, sauce et fromage en grains fait des heureux depuis plus de six décennies. Le Roy Jucep, ce restaurant typique des « sixties », éclairé aux néons, est toujours là pour servir sa délicieuse poutine. Ce plat simple a émergé de rien, mais est ô combien porteur d’une histoire unique !

L’histoire de la poutine n’appartient cependant pas à un seul homme ou à un seul restaurant. L’origine de la poutine proviendrait plutôt de Warwick, dans un milieu rural du Centre-du-Québec. Selon le livre Poutine Nation, on attribue la parentalité de la poutine à Fernand Lachance et son épouse Germaine du restaurant L’Idéal, devenu plus tard Le Lutin qui rit, où le mot « poutine » a été inscrit pour la première fois sur le menu en 1957.

Leur poutine ne comportait pas de sauce, puisque, selon les qu’en-dira-t-on, Fernand n’aimait pas la sauce. Germaine, quant à elle, ajoutait son grain de sel avec sa propre sauce vendue en accompagnement. C’était l’époque des années Duplessis, de la « grande noirceur » où l’Église catholique contrôlait à peu près toutes les dimensions de la vie des citoyens.

Plus tard, les kiosques à patates se multiplient et commencent à vendre de la poutine un peu partout en région. Mais en 1969, Ashton Leblond devient le véritable instigateur de la popularité de la poutine en fondant les restaurants Ashton, qui la vendent partout dans la région de Québec. Pour lui, mettre en valeur le savoir-faire québécois en matière de fromage en grains était essentiel. Le fromage devait trôner au-dessus des frites.

L’immense popularité de la poutine dans la région de Québec, grâce à la chaîne Ashton, a incité plusieurs autres chaînes comme Harvey’s, Burger King et même McDonald’s à ajouter la poutine à leur menu. Et le reste, comme on dit, appartient à l’histoire.

Le succès de la poutine n’aurait certainement pas existé sans l’ingéniosité de nos fromagers québécois qui ont fabriqué le fromage en grains qui fait « skouik skouik », la signature classique du plat.

L’héritage de la poutine, sans prétention, nous impressionne. Il y a de quoi célébrer. La poutine se retrouve sur les menus de la planète entière. À Washington, Los Angeles, Paris, Shanghai, Melbourne, Cape Town, Rio de Janeiro, partout le plat reste pour toujours associé au Québec et au Canada. Outre le sirop d’érable, c’est le plat québécois et canadien le plus connu partout dans le monde. La pizza napolitaine a mis plus de 100 ans à se faire connaître mondialement, grâce à l’immigration et à la maîtrise de la pâte à pizza et des fours à bois. La poutine l’a fait en moins de 60 ans.

Cependant, la pizza et le tour de main derrière ce plat mythique ont reçu une reconnaissance importante que la poutine, selon plusieurs, mérite également. En 2017, l’UNESCO a inscrit la pizza napolitaine et ses artisans pizzaïolos au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Eh oui, depuis 2003, l’UNESCO a commencé à déclarer le patrimoine culturel immatériel, y compris les plats, avec l’adoption de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Cette convention vise à protéger les traditions, les formes d’expression, les connaissances, les compétences et les outils que les communautés, les groupes et parfois les individus considèrent comme faisant partie de leur patrimoine culturel.

Le hic, c’est que le Canada n’a jamais signé cette convention et n’a aucun plat enregistré par l’UNESCO. Le Canada, poussé par le Québec, pourrait non seulement devenir signataire de cette convention, mais également soumettre la poutine comme premier plat canadien à ajouter à la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO.