Ça a pris du temps, mais la coopérative laitière Agropur a fini par retrouver l’équilibre financier qu’elle cherchait à atteindre depuis qu’elle a frappé un mur en 2018-2019 à la suite d’un vaste et coûteux programme d’acquisitions. Une expansion qui l’a propulsée parmi les plus grands acteurs de la transformation laitière en Amérique du Nord, mais au prix d’un trop lourd endettement qui a entravé son développement.

En 2019, le conseil d’administration d’Agropur a nommé Émile Cordeau au poste de président et chef de la direction de la coopérative pour remplacer Robert Coallier, qui venait de quitter l’entreprise de façon précipitée, avec la mission très claire de redresser le navire qui tanguait dangereusement.

En fait, Émile Cordeau était chef de la direction financière d’Agropur et il venait de démissionner lorsque le conseil d’administration l’a rappelé en catastrophe pour remplacer le PDG sortant Robert Coallier.

Un petit rappel qui illustre à quel point la situation de la coopérative était tendue à l’automne 2019 lorsqu’Émile Cordeau en a pris la direction. Dès son entrée en poste, il congédie six vice-présidents et 125 cadres et annonce la fermeture de deux usines.

Agropur avait réalisé plus d’une dizaine d’acquisitions en l’espace de trois ans, dont une importante aux États-Unis en rachetant le groupe Davisco dans une transaction qui a gonflé la dette du groupe de plus de 500 millions US.

Résultat des courses, l’endettement de la coopérative est devenu un fardeau qu’il a fallu de façon urgente alléger même si les revenus du groupe approchaient les 7 milliards, parce qu’en plus de sa dette courante, Agropur avait émis pour près de 800 millions d’actions privilégiées qui commandaient des paiements de dividendes élevés.

Pour vous donner une idée de l’ampleur des problèmes financiers du groupe, le ratio de la dette d’Agropur par rapport à son bénéfice d’exploitation était de 6,3 fois en 2019, un niveau insupportable que la coopérative a commencé à réduire dès l’année suivante avec la vente d’usines aux États-Unis.

En 2020, le ratio dette/bénéfice d’exploitation passe de 6,3 fois à 4,5 fois, et le PDG Émile Cordeau dit vouloir ramener ce ratio à un niveau d’équilibre qui se situe entre 2 et 3 fois les bénéfices d’exploitation.

Le ratio est ramené à 3,3 fois en 2021, après la vente notamment des yogourts IÖGO au groupe français Lactalis, puis il est réduit à 3,1 fois en 2022 et vient enfin d’atteindre le niveau d’équilibre espéré de 2,4 fois pour l’exercice financier 2023 après la vente de l’usine de fabrication d’ingrédients laitiers à La Crosse, au Wisconsin.

En plein dans la cible

« On arrive en plein dans la cible qu’on s’était fixée », se réjouit Émile Cordeau, PDG du groupe, qui doit respirer plus à l’aise ce mercredi alors qu’il rencontre les membres de la coopérative laitière réunis pour leur assemblée générale annuelle à Drummondville.

Agropur a terminé son année financière avec des revenus de 8,2 milliards, légèrement inférieurs aux 8,5 milliards enregistrés en 2022, mais a haussé sa rentabilité en générant des bénéfices d’exploitation de 543 millions contre 522 millions l’année précédente.

L’entreprise qui, au plus fort de ses problèmes financiers, avait dû suspendre le versement de ristournes à ses membres coopératifs va verser cette année des ristournes en hausse à 50 millions, soit 25 % au comptant et 75 % en parts de la coopérative, à ses membres producteurs laitiers.

Le retour à un meilleur équilibre financier permet à Agropur de mieux envisager l’avenir et le déploiement de son virage stratégique qui a été amorcé avec la vente d’usines qui cadraient moins dans son plan d’affaires.

On a 85 ans de croissance et on est prêt pour un autre 85 ans.

Émile Cordeau, PDG d’Agropur

« On a été en mesure de rétablir l’entreprise malgré un contexte difficile avec des coûts en hausse. L’inflation continue d’affecter les coûts de nos intrants, de l’emballage, du transport, de l’énergie ou des salaires », souligne Émile Cordeau.

Agropur réalise aujourd’hui 75 % de ses revenus avec des activités de transformation directement aux entreprises et seulement 25 % pour le marché des consommateurs au Canada avec ses différentes marques de lait Québon, Natrel ou Sealtest. Aux États-Unis, ce sont 100 % des revenus du groupe qui proviennent du marché entreprise pour entreprise contre 50 % au Canada.

Agropur a entrepris cet automne le démarrage d’une nouvelle usine de bâtonnets de fromage au Wisconsin après des investissements de 190 millions US.

« On veut continuer d’occuper une place importante dans le secteur des marques privées, des services alimentaires et du secteur industriel. On est le 5e fabricant de fromages aux États-Unis et on se classe au 15e rang mondial des transformateurs laitiers », indique le PDG.

Les dernières années auront été mouvementées pour la coopérative laitière, mais l’horizon semble nettement plus radieux pour les années à venir.