Chaque fois, c’est la même chose. Le gouvernement met en place un bonbon fiscal pour les entreprises dans un contexte donné, mais quand vient le temps de le retirer lorsque les choses ont changé, quelques années plus tard, il n’y a pas moyen de le faire.

Les lobbys d’entreprises se font alors entendre. Nos entreprises vont supprimer des emplois et des investissements, disent-ils, elles vont déménager. Et celles de l’étranger ne viendront plus.

Le cas des entreprises informatiques du Québec est un très bon exemple. Il y a 25 ans, on leur a donné de très généreux crédits d’impôt qui financent les salaires de leurs employés. L’objectif : créer des emplois, soutenir le secteur et éventuellement développer l’innovation technologique de nos entreprises.

Aujourd’hui, cette surstimulation devrait être remise en question, vu la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur, mais les bonbons fiscaux, qui se chiffrent à près de 600 millions par année, demeurent.

C’est le constat qu’on peut faire en lisant l’excellente étude1 de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke signée par les auteurs Michaël Robert-Angers, Frédéric Deschênes et Luc Godbout.

Aujourd’hui, 702 entreprises bénéficient du crédit d’impôt pour le développement des affaires électroniques (CDAE), y lit-on. Ces organisations reçoivent du gouvernement du Québec jusqu’à 30 % du salaire admissible en crédit d’impôt pour leurs employés informatiques.

Il s’agit du programme le plus généreux au monde, ou de l’un des plus généreux, qui a coûté 593 millions au gouvernement du Québec en 2022, calculent les chercheurs.

Or, sur les 702 entreprises qui en ont été bénéficiaires en 2019 – plus récente année pour ce calcul –, seulement quatre ont payé des impôts cette année-là, après la prise en compte du bonbon CDAE.

Certes, ces entreprises versent tout de même des charges sociales, comme la taxe sur la masse salariale ou les cotisations au Régime de rentes du Québec.

Mais quand on compare leurs versements d’impôts et de charges sociales de 2019 aux crédits d’impôt CDAE (440 millions) et aux autres crédits obtenus (46 millions), on se rend compte que le gouvernement enregistre une perte nette de 131 millions par année, selon l’étude. Ayoye !

Ces millions perdus ne le sont pas nécessairement au profit de PME en démarrage, nous apprend l’étude. Des 131 millions de pertes, 30 millions l’ont été pour des entreprises contrôlées à l’étranger, comme IBM, et 24 millions pour de grandes entreprises en Bourse, comme CGI.

Pour se justifier, le gouvernement invoque généralement que de telles subventions finissent par rapporter grâce aux impôts et taxes payés par les employés de ces entreprises. Sauf que dans le cas des informaticiens, il ne s’agit pas de nouveaux emplois créés, la plupart du temps, mais d’emplois déplacés, vu la pénurie de main-d’œuvre.

Et ces emplois déplacés, ils viennent souvent d’organisations qui souffrent de ces départs, ce qui nuit à leur développement technologique et à leur productivité. Bref, non seulement le crédit n’assure vraisemblablement pas de retombées nettes, mais il peut être de nature à nuire.

Au total, ce sont 32 000 emplois en technologies de l’information (TI) qui sont soutenus par le CDAE, mais le secteur en compte 263 000 au Québec. Quant aux postes vacants, ils se chiffrent à 40 000.

Depuis 25 ans, l’emploi du secteur est en forte croissance, mais la part des employés en TI au Québec recule dans l’ensemble du Canada, étant passée de près de 30 % en 2013 à 26 % en 2022, selon l’étude.

Difficile de savoir ce qui serait arrivé sans le crédit. Peut-être aurions-nous perdu la bataille dans les premières années. Peut-être moins depuis 10 ans ou pas du tout.

« Le Québec offre un incitatif fiscal généreux par rapport à ceux offerts par les autres juridictions recensées. Outre le taux de l’aide et son plafond par travailleur qui sont relativement élevés au Québec, les autres juridictions limitent généralement la durée de l’aide consentie et lient souvent celle-ci aux investissements effectués et non pas à la dépense salariale », écrivent les auteurs.

Chose certaine, le CDAE offre un avantage concurrentiel très important aux entreprises d’ici. Une fois le crédit soustrait, un programmeur coûte 74 550 $ aux entreprises au Québec, contre 103 880 $ à Toronto. Autre comparaison : un consultant en TI revient à 88 711 $ à Montréal, contre 118 230 $ à Toronto2.

Malgré ces constats sévères, les auteurs ne suggèrent pas de mettre la hache dans le CDAE, mais plutôt de le moderniser. Premièrement, ils modifieraient en partie le type de crédit d’impôt offert.

Ce genre de crédit, faut-il savoir, est soit remboursable (versé peu importe si l’entreprise paie des impôts ou non), soit non remboursable (versé seulement si l’entreprise paie des impôts). Actuellement, sur le crédit de 30 %, 24 % sont remboursables et 6 % non remboursables.

Pour les sociétés étrangères, donc, les auteurs proposent que le crédit se décline ainsi : 14 % remboursables et 16 % non remboursables.

Pour les autres, la composition 24 %-6 % demeureraient sauf pour les entreprises plus importantes, dont le capital versé excède 50 millions. Dans leur cas, suggèrent-ils, le crédit passerait progressivement de 24 %-6 % à 14 %-16 % dès que le capital versé atteint 75 millions.

Ce faisant, les grandes entreprises et les entreprises contrôlées à l’étranger devraient payer des impôts pour bénéficier du CDAE. Et avec le gain d’un tel changement, estimé à 45 millions, les chercheurs redirigeraient l’argent notamment vers les employés en TI autres que les programmeurs, par exemple les analystes fonctionnels ou les gestionnaires de projets informatiques.

Ce que j’en pense ?

Que ce rapport devrait inciter nos décideurs à réfléchir sérieusement sur la rentabilité de ce genre de crédit et sur l’opportunité de le redéployer pour mieux aider nos entreprises à accroître leur productivité. Ne devraient-ils pas, ces politiciens, fixer une date d’échéance à ces généreux crédits, en fonction de divers paramètres ?

1. Consultez l’étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke

2. Attention, il ne s’agit pas du salaire versé, mais du coût salarial pour les entreprises, une fois pris en compte la taxe sur la masse salariale et le crédit d’impôt pour le développement des affaires électroniques.