La question est délicate, mérite d’être nuancée, mais n’en demeure pas moins essentielle : jusqu’à quel point les Canadiens et les Québécois dépendent-ils de l’État pour vivre ? Et où les contribuables sont-ils les plus dépendants des transferts gouvernementaux ?

Cette grande question politiquement clivante trouve sa réponse dans une base de données que produit Statistique Canada chaque année. L’indicateur s’appelle le « rapport de dépendance économique » et il est mesuré par régions.

Ce rapport exprime le volume total des transferts gouvernementaux dont bénéficient les contribuables d’une région, divisé par leurs revenus d’emplois totaux. Tous les transferts sont inclus : prestations pour enfants, aide sociale, prestations d’assurance-emploi, rentes de Retraite Québec et pension de vieillesse fédérale. Même les crédits d’impôt pour la TPS et la TVQ s’y trouvent, tout comme les indemnités versées pour accidents de travail.

Alors qu’en est-il ? D’abord, comparons les provinces canadiennes, selon les plus récentes données, parues le 15 janvier.

Au Québec, les transferts gouvernementaux s’élevaient à 25,80 $ par tranche de 100 $ de revenus d’emploi en 2021 (année la plus récente disponible), selon Statistique Canada. Attention, il s’agit d’un rapport (ratio en anglais), et non d’une proportion, puisque les revenus d’emploi au dénominateur n’englobent pas les transferts au numérateur.

La somme de 25,80 $ est plutôt importante, mais elle diminue de moitié, à 12,80 $, si l’on retranche les rentes de retraite de la RRQ – pour lesquels les travailleurs (et leurs employeurs) ont cotisé leur vie durant – et celles de la pension de vieillesse fédérale et ses suppléments, offerts à tous les Canadiens.

À 25,80 $ par tranche de 100 $, les Québécois arrivent au 5rang canadien pour le taux de dépendance économique, derrière les contribuables des provinces maritimes, mais devant les Ontariens (21,50 $) et les Albertains (18 $), les moins dépendants de l’État au Canada⁠1.

La place du Québec peut s’expliquer par divers éléments. D’abord, les Québécois reçoivent significativement plus de rentes de la RRQ, peut-être en raison de leur retraite plus hâtive qu’ailleurs et parce que les personnes âgées sont proportionnellement plus nombreuses.

Cette dernière raison vaut aussi pour la pension de vieillesse fédérale, que touchent les Canadiens à 65 ans. Autre élément : la pauvreté plus grande des Québécois de cet âge permet à une proportion plus importante de Québécois âgés de toucher le supplément de revenu garanti (SRG).

Bref, ces deux éléments expliquent les deux tiers de l’écart entre le Québec et l’Ontario.

En 2021, les Québécois ont reçu davantage de prestations d’assurance-emploi que les Ontariens, soit 4,40 $ par tranche de 100 $ de revenus d’emploi, contre 3,20 $ chez nos voisins. En revanche, l’aide sociale pèse moins lourd ici qu’en Ontario (1 $ contre 1,30 $), ce qui en étonnera certains.

Le Québec, avec ses mesures sociales, finance aussi mieux les familles, offrant l’équivalent de 2,40 $ par 100 $ en 2021, contre 1,50 $ en Ontario.

Notez que les indemnités de travail, bien que relativement faibles dans l’ensemble, sont 2 fois plus importantes au Québec qu’en Ontario, toute proportion gardée (0,80 $ contre 0,40 $). Avons-nous plus de blessés du travail ou un système plus (ou trop) généreux ?

Si l’écart paraît grand entre les provinces, il l’est encore bien davantage entre les régions du Québec.

On pourrait penser que Montréal et certains de ses quartiers pauvres feraient monter la métropole assez haut dans la liste, mais c’est tout le contraire. Montréal est l’une des moins dépendantes (15e sur 17) de l’État au Québec, avec un taux de 23 $ par 100 $ en 2021, presque à égalité avec l’Outaouais et la dynamique Montérégie.

Au sommet figure la région Gaspésie–Îles-de-La-Madeleine, où le ratio était de près de 50 $ par 100 $ de revenus d’emploi en 2021. Le Bas-Saint-Laurent et la Mauricie suivent, à respectivement 38,70 $ et 38,30 $.

Qu’est-ce qui explique ce sommet de la Gaspésie ? Le fort taux de chômage, d’abord, suivi par la grande proportion de résidants qui touchent une rente de retraite publique.

Les prestations d’assurance-emploi représentent même 14,20 $ par 100 $ de revenu d’emplois dans cette région, contre une moyenne de 4,40 $ au Québec. Écart semblable pour les prestations de retraite publique de toute nature : 24,30 $ par 100 $, contre 14 $ pour la moyenne québécoise.

Les constats sur l’importance des retraités sont semblables dans le Bas-Saint-Laurent et en Mauricie, mais la dépendance économique liée au chômage est 2 fois moindre qu’en Gaspésie (7 $ ou moins), mais tout de même 2 fois plus importante que la moyenne du Québec (4,40 $).

Enfin, un mot sur le soutien aux enfants, proportionnellement plus généreux pour les familles nombreuses et les faibles revenus.

C’est dans la région Nord-du-Québec, où se trouvent de nombreux Autochtones, qui touchent les soutiens les plus élevés, et de très loin. La dépendance à cet égard est de 12,20 $ par 100 $ de revenus d’emploi, alors que la moyenne québécoise est à 4,60 $. Il faut dire que le revenu d’emploi (le dénominateur du rapport) y est probablement bien plus faible.

Voilà pour les constats. Les données ne permettent pas de dire quel serait le niveau idéal de soutien de l’État – où de dépendance économique. Un manque de soutien social peut mener au désordre, mais un niveau trop élevé peut freiner les solutions optimales hors du cadre de l’État et ainsi siphonner des ressources publiques qui pourraient être utilisées à d’autres fins.

Voilà tout le débat gauche-droite qui se présente…

1. Notez que les transferts gouvernementaux de l’année 2021 comprenaient encore certaines prestations liées à la COVID-19. En période normale, comme en 2019, il faut retrancher environ 3 $ de transferts par 100 $ de revenu d’emploi. La moyenne canadienne a explosé durant l’anormale année pandémique 2020. Le taux de dépendance est passé de 19,10 $ par 100 $ en 2019 à 28,80 $ en 2020, avant de retomber à 22,60 $ en 2021.