Les chocolateries, les fleuristes et les boutiques de décoration ont en commun cette capacité à stimuler nos sens pour nous faire acheter des choses qui ne sont pas vraiment essentielles à la vie. Des choses qui embellissent notre quotidien et font du bien au moral, mais dont on peut se passer, bien souvent.

Vous le savez comme moi, quand le coût de la vie bondit, quand le budget se resserre, les bougies parfumées, les bouquets et les coussins dignes d’Instagram perdent de leur attrait. Aussi jolis soient-ils.

Les magasins Bouclair sont donc très bien placés pour ressentir le stress économique vécu par les consommateurs. D’ailleurs, depuis le début de l’année, toutes leurs catégories de produits ont écopé, m’a confié le propriétaire de l’entreprise, Peter Goldberg, en parcourant les allées de la succursale du quartier Griffintown. Autant les petites décorations à 9 $ que les meubles à 500 $. Autant au Québec qu’en Ontario.

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Le propriétaire de Bouclair, Peter Goldberg

« C’est plus difficile pour les gens qui doivent payer leur hypothèque et l’épicerie. Le marché relié à la maison va moins bien. Notre industrie a été touchée en premier. Les voyages et les repas au restaurant, ça a continué un certain temps. » L’homme d’affaires prévoit que le retour à la normale prendra 18 mois.

Face à ce contexte défavorable, Peter Goldberg a décidé d’adopter une stratégie pour aider les consommateurs à faire face à l’inflation et pour stimuler le volume des ventes : réduire certains prix de 25 à 32 %. Depuis mercredi, la mesure touche 150 produits, essentiellement des chaises, des tabourets et des rideaux. D’autres catégories pourraient suivre.

De grosses affiches jaunes annoncent les baisses de prix, ce qui devrait plaire puisque 74 % des Québécois aiment qu’une marque prenne en considération l’impact de l’inflation dans son offre, selon le plus récent Baromètre de la consommation responsable, dévoilé par l’ESG UQAM en novembre. Le message que Bouclair veut lancer : « c’est plus tough pour vous, on le sait et on fait notre part », dit Peter Goldberg.

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De grosses affiches jaunes annoncent les baisses de prix.

Autrement dit, la chaîne de 54 magasins met en œuvre le genre de stratégie anti-inflation qu’on attend encore des supermarchés.

Tandis que les initiatives pour aider les consommateurs à remplir leur panier d’épicerie se multiplient en Europe, les détaillants canadiens n’ont toujours pas mis en œuvre des mesures inédites qui font vraiment une différence sur la facture.

Seule exception, dans la dernière année : le groupe Loblaw (Maxi et Provigo) a gelé les prix de ses produits sans nom à l’automne 2022 pendant quelques mois.

En septembre, le gouvernement fédéral avait pourtant menacé de sévir contre les grandes chaînes de supermarchés si elles ne prenaient pas de mesures pour stopper la hausse du prix des aliments.

Il y a quelques jours, le Toronto Star a écrit que Sobeys (IGA) avait annulé 1700 hausses de prix prévues d’ici janvier et que Loblaw réduira le prix de 35 aliments. Quand on sait qu’une épicerie compte au moins 25 000 produits, ça met les choses en perspective.

Ces « décisions » n’ont d’ailleurs pas fait l’objet d’une campagne promotionnelle auprès des consommateurs, preuve de leur envergure miniature. Les entreprises sont normalement très promptes à vanter la moindre initiative qui les fait bien paraître.

Mais revenons à Bouclair qui ne doit pas seulement composer avec des consommateurs plus économes et endettés à cause de l’inflation, mais aussi avec de nouvelles valeurs qui changent la donne.

Pas moins de 53 % des Québécois affirment avoir réduit leur consommation par conviction, 79 % ont pris l’habitude de moins magasiner et 65 % ont réalisé qu’ils faisaient des achats superflus, nous apprend le Baromètre de l’ESG UQAM.

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Section décoration du temps des Fêtes de Bouclair

Même pour Noël, 70 % des Canadiens n’ont pas l’intention de dépenser autant qu’au cours des années précédentes pour des articles discrétionnaires, ces fameux biens non essentiels que j’évoquais plus haut, selon KPMG. Encore plus stupéfiant (et inquiétant pour Bouclair, comme pour bien d’autres commerces) : 66 % des consommateurs envisagent de dépenser uniquement pour des biens essentiels cette année.

Ces idéaux auront-ils un impact significatif et pérenne sur les commerces ? Difficile à prédire. Bien souvent, les bonnes intentions disparaissent aussi vite qu’elles sont arrivées, comme on l’a vu avec l’engouement pour l’achat local du début de la pandémie.

« Quand c’est plus difficile, il faut s’améliorer », constate Peter Goldberg avec philosophie. Il mise sur ses bas prix, ses styles « dessinés à Montréal » et la livraison dès le lendemain des produits (ou en quelques heures avec DoorDash), ce qui paraît simple à faire parce qu’Amazon y arrive, mais exige beaucoup d’investissements en technologie et logistique. Les ventes en ligne génèrent 30 % du chiffre d’affaires.

J’ai surtout été étonnée, mais ravie d’apprendre que Bouclair avait décidé de donner moins d’argent à Meta (Facebook) et Google et de revenir à la bonne vieille télévision. Ses publicités humoristiques de 15 secondes qui « coûtent cher », mais « poussent la marque », sont réussies. À l’ère où il est si facile d’acheter en ligne sur les sites de géants étrangers, il est bon de se faire rappeler que des commerçants locaux qui contribuent à notre économie se démènent pour satisfaire nos envies.