Ces derniers mois, plusieurs se sont mis à douter de l’efficacité des taux d’intérêt de la Banque du Canada pour recadrer l’économie en surchauffe. À quoi bon monter les taux si les détenteurs d’hypothèques souffrent sans que l’économie et l’inflation se dégonflent ?

La réponse nous vient enfin, après des mois d’attente. Et elle rappelle à quel point les taux d’intérêt sont un outil puissant pour contrôler l’économie.

Vendredi, les chiffres de Statistique Canada indiquaient que le produit intérieur brut (PIB) canadien s’est contracté de 0,2 % en juin par rapport au mois de mai, après soustraction de l’inflation. Le chiffre paraît petit, mais il s’agit de la première baisse en 2023, et à ce rythme, l’économie se dégonflerait de 2,7 % sur un an⁠1. Les économistes ne s’attendaient pas à une telle contraction.

Ce signal de « succès » de la politique monétaire est si marquant que le marché boursier canadien a bondi de 253 points vendredi (1,2 %). Les investisseurs jugent que la Banque n’aura pas à hausser de nouveau son taux directeur mercredi prochain et donc que le niveau actuel des taux est suffisant pour freiner l’économie et mater l’inflation. Alléluia !

Mais est-ce bien le cas ? Pour en juger, je me suis amusé à mesurer la « réaction » du PIB, de l’emploi et de l’inflation depuis deux ans à la hausse des taux d’intérêt.

Le constat est clair : l’économie canadienne pique du nez depuis un an, au fur et à mesure que les taux montent. Et l’inflation suit la même tendance.

Voyons voir. Pour faire l’exercice, j’ai comparé la variation annuelle de chacun des indicateurs pour chaque mois, c’est-à-dire que j’ai comparé les variations de juin 2023 à juin 2022, de mai 2023 à mai 2022, et ainsi de suite.

En mai 2022, donc, le PIB canadien avait crû de 5,2 % par rapport au même mois de l’année précédente, une fois l’inflation soustraite. La hausse était impressionnante. Depuis lors, la croissance du PIB a reculé presque chaque mois, atteignant seulement 1,1 % en juin 2023, selon les chiffres publiés par Statistique Canada vendredi.

Et cette croissance du PIB masque le fait que pendant cette période, la population canadienne a explosé de 1,2 million de personnes, avec l’immigration et les travailleurs temporaires, notamment. En prenant le PIB par habitant, les économistes de la Banque Nationale calculent plutôt qu’il faut parler d’un recul de 2 % depuis un an. Oupelaye !

L’emploi suit presque exactement la même tendance que le PIB. En mai 2022, le nombre d’emplois était 8,2 % plus élevé qu’en mai de l’année précédente, hausse qui s’est dégonflée jusqu’à 2,7 % en juin 2023⁠2. La courbe du taux préférentiel, qui découle du taux directeur de la Banque du Canada, varie en sens inverse.

L’inflation ? Elle a été en hausse jusqu’en juin 2022, mais depuis, le recul est presque constant, notamment parce que le boom inflationniste du début de la guerre en Ukraine s’est estompé.

Certes, il y a eu un rebond en juillet, à 3,9 %, mais à voir la vitesse du repli de l’économie et de l’emploi – et donc de la demande –, les prix finiront par se modérer, d’autant que la Chine et ses produits pourraient être dans une phase de déflation.

On pourrait penser que la situation diffère au Québec, qu’elle soit pire ou meilleure que dans le reste du Canada, mais force est de constater que les deux économies suivent exactement la même tendance, tant pour le PIB que pour l’emploi, comme le montrent ces deux graphiques. Le Québec a touché le seuil du 0 % de croissance en juin.

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Bref, l’économie pique du nez, et paradoxalement, il faut s’en réjouir, parce que c’est le signe que le taux directeur ne montera probablement pas mercredi, comme le prévoit le Mouvement Desjardins, ni au cours des mois suivants, si la tendance se maintient.

Et qu’avec un peu de chance, la pilule aura été avalée d’ici la fin de l’année, si bien que les consommateurs pourraient enfin bénéficier d’une baisse des taux d’intérêt pas trop tard en 2024. Croisons les doigts !

1. Ce chiffre de 2,7 % est calculé en tenant compte de l’effet composé sur 12 mois de la contraction du PIB en juin (0,23 % pour être précis). Le chiffre de 2,7 % est à titre illustratif, puisque les économistes annualisent rarement une variation mensuelle.

2. Il s’agit du dernier mois disponible pour les données de Statistique Canada qui m’ont servi à faire la comparaison, soit l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH).