Le terrain est occupé par un vieux garage et un petit bâtiment industriel vacant dont la démolition ne fera pleurer personne, en plus d’être collé sur une future gare du REM. Montréal est en pleine crise du logement. Les changements climatiques exacerbés par l’étalement urbain ne font que prendre de l’ampleur. Mais qu’à cela ne tienne, le projet d’immeuble de 111 logements proposé sur le site a été bloqué… par 26 citoyens. L’arrondissement en compte 71 000.

Ça s’est passé dans l’Ouest-de-l’Île, à Pierrefonds-Roxboro. Comme l’a raconté jeudi mon collègue André Dubuc dans un texte déconcertant, 26 personnes ont exercé un droit de veto grâce aux règles qui régissent les changements de zonage. Il ne fallait en effet que 20 opposants pour forcer la tenue d’un référendum, un exercice qui ne sera pas fait en raison des coûts que ça suppose et de la complexité assez effarante de la chose. Un chiffre qui illustre à lui seul le besoin criant de revoir la loi encadrant les référendums.

Lisez l’article « Un autre cas de “Pas dans ma cour” »

Le projet de développement immobilier chez Quorum est donc tombé à l’eau. Même s’il obtenait la faveur de 75 % des citoyens sondés ! Quand on n’est pas un expert du monde municipal et de l’immobilier, l’histoire paraît tout simplement invraisemblable.


En plus, la Ville semble avoir été exemplaire dans son processus de consultation. Elle n’a pas tenté de passer le projet en catimini, m’a dit Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, une organisation spécialisée dans le développement optimal des communautés.

C’est un exemple qui fait mal. C’est le genre de projet qui devrait aller de soi. D’un point de vue urbanistique, construire six étages près du transport en commun, c’est ce qu’il faut faire pour l’avenir de nos villes.

Christian Savard, directeur général de Vivre en ville

Il qualifie de « regrettable » ce « cas d’école du “pas dans ma cour” ».

IMAGE TIRÉE DU SITE WEB DE L’ARRONDISSEMENT DE PIERREFONDS-ROXBORO

Situation géographique du projet immobilier bloqué

Il ne faut pas s’étonner que le changement ne soit pas toujours le bienvenu dans les quartiers résidentiels et que certaines personnes craignent une perte de quiétude avec la densification. Des travaux qui s’étirent sur des années, ce n’est jamais agréable. Les tours changent le paysage, je le comprends.

Certains citoyens se méfient des administrations municipales, l’histoire nous ayant enseigné que les principes de saine gouvernance peuvent être bafoués à répétition. D’ailleurs, une résidante de Pierrefonds-Roxboro a accusé la Ville de vouloir faire « encore une passe d’argent vite faite » avec le projet de Quorum.

Les promoteurs immobiliers privés sont aussi la cible d’une certaine suspicion, comme si leur raison d’être – le profit – était forcément incompatible avec la volonté sincère d’ériger des projets positifs pour la communauté.

Dans le contexte où ces a priori et ces préoccupations ne s’éclipseront pas comme par magie, il importe de mieux faire valoir – et vite – les avantages de la densification.

Même si cet argument touche peu le cœur des propriétaires, il faut leur rappeler que la densification fait partie des solutions pour atténuer la crise du logement. Construire près des infrastructures existantes limite aussi l’étalement urbain qui coûte une fortune en nouvelles infrastructures, accroît la pollution et réduit la superficie des terres agricoles.

Les nouveaux projets immobiliers peuvent par ailleurs attirer de nouveaux commerces et services de proximité qui réduisent le recours à l’automobile. Dans certains cas, des espaces publics y sont intégrés pour le bien de tout le quartier. Les taxes municipales supplémentaires pourront aussi bonifier l’offre de services pour tout le monde.

Le « pas dans ma cour » n’empêche pas uniquement l’érection de tours. Des Torontois ont fait preuve d’une imagination inouïe pour s’opposer à la transformation d’une grosse maison en garderie, il y a quelques années. Le fait que 82 000 places en garderie étaient alors manquantes dans la Ville Reine ne les émouvait guère.

Une résidante est allée jusqu’à affirmer que les couches utilisées par la marmaille pourraient aggraver la circulation dans la rue, avait rapporté le Toronto Star. Selon les calculs savants de cette dame, entre 400 et 600 couches seraient jetées chaque semaine.

« Les camions à ordures devront rester en bordure du site pendant de longues périodes pour vider toutes les poubelles, ce qui mettra encore plus en danger les enfants qui seront déposés ou ramassés à la garderie », avait-elle écrit dans une lettre de protestation.

L’inesthétisme des poussettes et les sons émis par les bambins étaient aussi des sources de préoccupation des voisins.

« Je n’arrive toujours pas à croire que des gens puissent dire que le bruit des enfants qui jouent est offensant ou que les poussettes [sur le porche de la garderie] portent atteinte au caractère patrimonial du quartier alors qu’ils ont garé leur BMW à l’extérieur », avait répliqué une défenseuse du projet.

Lisez le reportage du Toronto Star (en anglais)

Comme vous pouvez l’imaginer, l’accroissement de la circulation automobile était aussi un argument récurrent des opposants. Le même genre d’argument est aussi utilisé au Québec, où l’on se plaint des écoles vétustes et trop petites tout en s’opposant à la construction de nouvelles.

Si l’être humain est incapable d’accepter pour le bien commun un peu plus d’ombre et de voitures dans les rues à proximité de son logis, comment en arriverons-nous à ralentir les changements climatiques, un défi qui implique une réduction certaine de son confort individuel ?