Drôle de moment, je sais, pour parler de la déclaration de revenus, même si les travailleurs autonomes doivent la transmettre d’ici le 15 juin. Pour les salariés et les retraités, le dossier est classé depuis des semaines. Le remboursement d’impôt est dépensé ou investi, la facture de H & R Block est oubliée. L’heure est plutôt aux vacances et aux BBQ.

Mais vendredi, une nouvelle étude nous a appris qu’Ottawa pourrait facilement produire les déclarations de revenus du tiers des familles, puisque toutes les informations nécessaires sont déjà en sa possession. Dans le cas des personnes touchant l’aide sociale, la proportion est bien plus élevée : ce service salutaire pourrait être offert à 67 % des ménages.

Telle est la conclusion de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke qui a calculé le nombre de ménages produisant une déclaration qualifiée de « simple ». Les contribuables qui demandent le crédit pour frais médicaux ou pour don de bienfaisance, ceux qui déclarent un revenu de travail autonome ou une pension alimentaire, par exemple, ne font pas partie de cette catégorie.

L’idée n’est pas nouvelle. Dans une trentaine de pays (Danemark, Suède, Norvège, Espagne), la plupart des citoyens n’ont pas à transmettre de déclaration de revenus. Le document est automatiquement produit par l’État. Il suffit ensuite de vérifier l’exactitude des informations qu’il contient et de les corriger au besoin.

Cette façon de faire est avantageuse à bien des égards. Elle réduit le fardeau administratif des ménages pour qui le processus est intimidant (analphabétisme, manque de littératie financière) et trop coûteux, accroît le nombre de déclarations produites et améliore l’accès à divers programmes d’aide.

« Faire ses impôts, c’est compliqué, c’est stressant, et les erreurs ont des conséquences graves », rappelle l’auteur de l’étude et candidat au doctorat à l’Université Carlton, Antoine Genest-Grégoire.

N’allez pas croire que la proportion de Canadiens qui ne produit pas de déclaration est infime. On l’estime à 12 %.

Ce faisant, ces personnes se privent d’une série de prestations et de programmes publics comme le crédit pour la TPS/TVH et l’Allocation canadienne pour enfants. Le 5 juillet, des ménages passeront aussi à côté du « remboursement pour l’épicerie » annoncé dans le dernier budget fédéral. L’avis de cotisation sert ensuite à attester de son revenu pour avoir droit à des subventions au logement, par exemple.

Le remplissage des déclarations de revenus par le fisc procure donc des avantages indéniables, particulièrement aux moins nantis, qui sont les plus nombreux à ne pas faire l’exercice. Pour Antoine Genest-Grégoire, il ne fait pas de doute que « la non-déclaration est un problème si on est préoccupé par le filet social ».

Selon l’Institut C. D. Howe, qui s’est aussi penché sur le sujet⁠1 l’an dernier, « environ 4,2 % des contribuables potentiels – soit plus d’un million de personnes – ne participent pas au système fiscal, alors qu’ils devraient probablement le faire ». Cela peut sembler assez peu, mais il ne faut pas oublier que des millions d’autres personnes doivent perdre temps et argent pour produire une déclaration. Soit pour acheter un logiciel d’impôt et se taper le travail, soit pour chercher quelqu’un à qui confier la tâche dans un contexte où de nombreux professionnels ne prennent plus de clients.

Ce ne serait pourtant pas très compliqué d’imiter d’autres États, car l’ARC est déjà informée de ce qu’on a reçu en salaire, prestations, pension et intérêts.

Ces informations lui sont transmises par les employeurs, par les banques, et le gouvernement lui-même. D’ailleurs, les logiciels d’impôts sont capables d’aller chercher ces données.

Pour inclure un plus grand nombre de familles, les sommes versées en dons et les frais de scolarité payés pourraient être transmis au fisc. « La collecte de renseignements auprès de nouvelles tierces parties ou la mise en place d’autres procédures administratives pourrait accroître de manière substantielle le nombre de déclarations que pourrait produire l’ARC », soutient la CFFP.

Tout le monde ne pourrait pas bénéficier d’un tel service de l’État, bien entendu. Car l’ARC n’est pas en mesure de savoir combien d’argent vous avez dépensé chez le dentiste et le physiothérapeute dans la dernière année. Idem pour les revenus de travail autonome et les dépenses engagées pour les gagner.

« Combien ça vous coûte en cire pour fabriquer des chandelles, l’ARC ne peut pas savoir ça, concède Antoine Genest-Grégoire. Personne d’autre que vous ne peut faire ces calculs-là. » De toute manière, règle générale, ceux qui ont des déclarations complexes ont les moyens de payer un comptable.

Mais il y a moyen de faire beaucoup mieux.

Ottawa s’était engagé en 2020 à mettre en place un système automatisé, une promesse répétée dans le budget Freeland de mars dernier. Pour le moment, des invitations sont transmises à près d’un million de personnes à faible revenu pour leur offrir un service de déclaration par téléphone. Mais en 2022, seulement 52 713 en ont profité. Il faut changer de stratégie.

Du côté de Québec, on a promis en mars de transmettre à « un nombre restreint de particuliers » une déclaration préremplie (impôts de 2023) dans le cadre d’un projet-pilote. La CFFP suppose d’ailleurs que les résultats de son étude se « transposent vraisemblablement au Québec ».

À l’ère de l’intelligence artificielle, il est temps qu’on trouve le moyen d’alléger le fardeau de la saison des impôts.

Consultez l’étude « .Quelle part des déclarations de revenu l’Agence du revenu du Canada pourrait-elle remplir elle-même ? » Consultez l’étude l’Institut C. D. Howe et son tableau de la page 12 (en anglais)