La cybersécurité et surtout les nombreuses carences observées au chapitre de la sécurité numérique des entreprises, des gouvernements et des individus sont devenus un sujet de préoccupation de tous les jours. Heureusement, les avancées réalisées dans le domaine de la physique quantique pourraient assurer prochainement une plus grande tranquillité d’esprit pour tous grâce au développement de la cryptocybersécurité.

Deux dossiers percutants ont fait la manchette de La Presse cette semaine : celui de l’explosion des fraudes financières, qu’a exposée en détail ma collègue Marie-Eve Fournier, et celui de la violation du secret des dossiers médicaux personnels, qu’a documentée mon collègue Hugo Joncas.

Des révélations qui nous rappellent notre vulnérabilité grandissante dans un monde de plus en plus numérisé et qui démontrent l’importance de trouver les moyens sûrs et efficaces d’assurer correctement la défense de nos données et de notre vie privée.

C’est justement ce à quoi s’attelle depuis cinq ans une jeune entreprise montréalaise qui développe des solutions de cryptocybersécurité générées à partir des travaux du professeur Bertrand Reulet, spécialiste mondial du bruit quantique du département de physique de l’Université de Sherbrooke.

Sherbrooke a été désignée l’an dernier première zone d’innovation du Québec, spécialisée dans le domaine des sciences quantiques, en raison de l’expertise développée par l’Université.

« Ce qui est au cœur de la cybersécurité, c’est le chiffrement. C’est une pratique qui remonte à l’Antiquité. L’homme codifie ses messages pour qu’ils ne soient pas lus par une tierce partie. Aujourd’hui, c’est devenu hypersophistiqué, ça prend des nombres aléatoires qui ne relèvent pas d’un modèle, mais même les algorithmes générés par des ordinateurs peuvent être craqués par un ordinateur quantique », m’explique Francis Bellido, PDG de Quantum eMotion.

Grâce à quatre brevets homologués aux États-Unis, la jeune entreprise a mis au point un générateur quantique de nombres aléatoires qui permet de crypter de façon opaque les données d’un ordinateur.

L’appareil, d’une capacité de 2 gigabits par seconde, est en mesure de produire 2 milliards de nombres aléatoires par seconde, rendant ainsi pratiquement inviolables les données qu’il protège.

« On est actuellement à 2 gigabits par seconde, mais on pourra augmenter la puissance jusqu’à 100 gigabits par seconde », anticipe le président de la jeune entreprise qui compte une dizaine d’employés dont des doctorants et des postdoctorats de l’Université de Sherbrooke.

Le générateur quantique de nombres aléatoires a actuellement la forme d’une clé USB que l’on insère dans un ordinateur, mais il pourra éventuellement devenir une puce. Quantum eMotion entend le commercialiser en mode nuagique pour éviter les coûts importants de fabrication.

Santé et cryptomonnaie

Titulaire d’un doctorat en microbiologie médicale de l’Université de Genève et d’un MBA de l’UQAM, Francis Bellido a longtemps œuvré dans le domaine du financement de jeunes sociétés innovantes. Il est devenu l’un des investisseurs les plus importants de Quantum eMotion et a levé 7 millions pour amener sur le marché son générateur quantique de nombres aléatoires.

On vise le marché de la télémédecine, qui va être de plus en plus utilisée pour soulager les hôpitaux et éviter aux malades chroniques de s’y rendre pour plutôt se faire soigner à la maison. Notre solution va servir à protéger les données de ces patients.

Francis Bellido, PDG de Quantum eMotion

Son entreprise s’est associée à la société montréalaise Grey-Box, qui a développé une plateforme numérique de thérapies médicales et est en discussion avec des partenaires allemands pour implanter en Europe son générateur quantique de nombres aléatoires.

Cette nouvelle technologie s’étendra éventuellement à tous les secteurs du monde numérique et permettra même aux simples citoyens que nous sommes d’en profiter, mais pour l’instant elle se développe dans un marché de niche.

« Nous, on a choisi la télémédecine et aussi la protection des cryptomonnaies. On s’est associés à l’ETS pour développer un cryptoportefeuille solide pour protéger les monnaies numériques », explique le PDG.

« Les détenteurs de cryptomonnaie gardent ça dans leur ordinateur et s’exposent au craquage. L’an dernier, c’est plus de 4 milliards de dollars de cryptomonnaies qui ont été volées », constate-t-il.

On sait aussi que la technologie des chaînes de blocs oblige les opérateurs de cryptomonnaies à cryptographier sans arrêt, à miner, comme on dit dans le cryptojargon, alors que l’usage des nombres aléatoires générés par le quantique permettrait de réduire de 99,5 % la consommation d’énergie, évalue Francis Bellido.

Chose certaine, le développement de la physique quantique et la capacité de calcul surmultipliée qu’elle permet seront au cœur des prochaines transformations de l’univers numérique dans lequel on est maintenant condamné à vivre.

Si elle permet de nous sentir plus à l’abri des fraudeurs de toutes sortes qui tirent profit de ce nouvel environnement, on ne s’en plaindra pas. On pourra même réécrire le très biblique quantique des quantiques.