Le Québec manque de logements, c’est connu. Et nos écoles ont besoin d’amour, comme nos hôpitaux et nos routes.

Malheureusement, même si les gouvernements investissent davantage, même si le secteur privé multiplie les projets résidentiels, le Québec peinera à combler les retards pour une raison bien simple : il manque de bras.

C’est dans ce contexte que le ministre du Travail du Québec, Jean Boulet, a entrepris de moderniser l’industrie de la construction, à la demande de François Legault. Des discussions entre le ministère du Travail, les syndicats et le patronat ont commencé en début d’année, selon ce que j’ai appris.1 Le gouvernement veut notamment dépoussiérer le code qui régit le travail dans l’industrie au Québec, qu’on appelle la loi R-20.2 Cette loi régit près de 60 % des travaux de construction effectués au Québec.

« Notre objectif, à terme, est d’améliorer la productivité, la rétention de main-d’œuvre et l’efficacité de l’industrie », m’indique la porte-parole de Jean Boulet, Maude Méthot-Faniel. Les consultations se poursuivront au cours des prochains mois, mais aucun échéancier n’a été fixé.

Des chiffres clés ? L’été dernier, il manquait 17 000 personnes dans l’industrie, ce qui équivaut à près de 10 % des 175 000 travailleurs.

Et ce n’est qu’un début. Cette industrie sera frappée par le vieillissement de ses travailleurs et par la diminution du nombre de jeunes susceptibles de prendre la relève. Non seulement la cohorte de jeunes de 15-24 ans a diminué ces dernières années, mais la proportion de ceux qui, parmi ce plus petit groupe, s’inscrivent à la formation de base décline.

Pour l’instant, le Québec ne peut compter sur les travailleurs étrangers temporaires (TET), comme pour l’agriculture, vu les nombreuses règles qui régissent l’industrie de la construction.

Le constat est incontournable : au Québec, moins de 100 travailleurs ont été embauchés par l’industrie depuis deux ans, soit un maigre 1,2 % du total canadien (8548), selon une recherche de l’Association de la construction du Québec (ACQ), qui représente les 20 000 entreprises des secteurs institutionnel, commercial et industriel.

Ce qu’il faut faire ? Bien des choses.

Dans le cas des travailleurs étrangers temporaires, les entrepreneurs du Québec jettent l’éponge pour diverses raisons. Il y a les longs délais pour les embaucher (de 6 à 8 mois) et les investissements requis (de 6000 $ à 12 000 $ par travailleur), entre autres.

Surtout, il y a la réglementation qui exige qu’on embauche les travailleurs étrangers pour deux ans, alors que l’industrie est saisonnière, m’explique Guillaume Houle, porte-parole de l’ACQ. Il faudrait pouvoir les embaucher seulement pour la saison forte, entre avril et novembre.

« Les entreprises préfèrent prendre moins de contrats et c’est tant pis », dit le porte-parole de l’ACQ.

Dans un mémoire présenté au ministre des Finances, Eric Girard, l’ACQ demande que des moyens soient pris pour augmenter la productivité, notamment par l’assouplissement de certaines règles.3

Au Québec, il y a 26 corps de métier, contre seulement 7 en Ontario. L’ACQ n’est pas nécessairement contre cette structure de corps de métier, vu la qualité de leur formation, mais elle aimerait que les syndicats acceptent une certaine flexibilité entre les corps.

Par exemple, un poseur de revêtement souple pourrait faire le travail d’un carreleur, comme un poseur de gypse/tireur de joints pourrait faire de la peinture.

« La réglementation au Québec est plus contraignante. En Ontario, il faut un travailleur pour faire 4 mètres de trottoir, alors qu’au Québec, il faut 7 corps de métier pour faire le même travail », dit M. Houle.

Autre demande : que le gouvernement offre un crédit d’impôt pour permettre aux entreprises de se doter des nouvelles technologies, comme des exosquelettes pour prémunir le dos des travailleurs, ou encore des logiciels pour la planification des travaux.

Du côté syndical, les positions diffèrent selon les syndicats. Au Conseil provincial du Québec des métiers de la construction – appelé l’International –, on se dit sensible à ces enjeux de pénurie de main-d’œuvre et à la recherche de solutions équitables.

Les enjeux prioritaires sont l’attraction des jeunes, la rétention de main-d’œuvre et la formation, entre autres. « On travaille à trouver une voie de passage pour des solutions », me dit le porte-parole, Carl Charest.

Le Québec, faut-il savoir, est reconnu au Canada pour la qualité de sa main-d’œuvre en construction, explicable grâce à la formation et aux cartes de compétence.

Le taux de rétention de ceux qui entrent dans l’industrie avec une formation, soit avec un diplôme d’études professionnelles (DEP), est plus élevé que les autres, soit 75 % après 5 ans contre 60 % pour les autres. Ces autres employés sont ceux qui entrent dans l’industrie par l’ouverture des bassins de main-d’œuvre, permise par la réglementation dans certains contextes, comme la pénurie.

À ce sujet, la FTQ-Construction, de son côté, affirme que parmi les 27 000 nouveaux travailleurs depuis 2 ans, 80 % sont entrés dans l’industrie par l’ouverture des bassins, et seulement 20 % avec le diplôme. Il y a 5 ans, cette proportion était de 40 %-60 %.

On insiste pour dire que la formation est essentielle et qu’elle devrait être obligatoire pour tous, quitte à l’exiger à temps partiel pour ceux qui entrent par l’ouverture des bassins. L’ACQ, de son côté, propose des stages pendant la formation.

Pour le reste, le ton de la FTQ-Construction est plus réservé. Le directeur général, Éric Boisjoly, affirme que « la modernisation de la loi R-20 n’a pas été lancée pour des raisons de pénurie de main-d’œuvre ». Le syndicat veut d’ailleurs en profiter pour récupérer le droit de faire des griefs.

En ce qui concerne les travailleurs étrangers temporaires, la FTQ-Construction dit vouloir s’assurer qu’ils puissent suivre la certification sur la santé et la sécurité, qui n’est offerte qu’en français et en anglais.

« On sait qu’il y a une surchauffe. Le gouvernement doit mieux planifier les travaux publics [écoles, routes, etc.] selon les disponibilités de main-d’œuvre », dit M. Boisjoly.

Un grand chantier, donc, et d’intenses négociations en vue pour moderniser l’industrie de la construction.

1. Y participent aussi les dirigeants de la Commission de la construction du Québec (CCQ), de la Régie du bâtiment et de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

2. Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction

3. Consultez le mémoire de l’Association de la construction du Québec (ACQ)